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Réseaux de chaleur : y aura-t-il assez de bois pour tout le monde ?

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Saint-Etienne Métropole en compte 9. En régie, sinon confiés en délégation à des tiers. D’ici la fin du mandat, de 2 à 4 nouveaux réseaux doivent être créés. Et pour cause : leurs chaufferies sont avant tout – Firminy exceptée – alimentées par des « plaquettes » d’un bois issu de l’exploitation forestière locale, sinon de « connexes », les chutes des transformateurs. C’est évident : il s’agit de réduire le recours au gaz et, a fortiori, au fuel pour le chauffage des bâtiments, publics ou non. Mais le potentiel de la ressource suffit-il aux ambitions ? Selon un rapport publié fin 2021, en l’état, il ne faudra pas compter sur le Pilat…

L’un d’eux est très ancien. Celui de Firminy date en effet de 1959 et, mi 2021, ses 13 km linéaires en faisaient le plus grand de l’agglomération. Mais avec seulement un quart de son énergie produite par le bois, il n’est pas le plus caractéristique de Saint-Etienne Métropole de nos jours. Celui de Montreynaud – 11 ans de moins, 8 km – en était à 73 % à la même date. Les sept autres ont été mis en service dans les années 2000 ou 2010 avec une alimentation énergétique au sein de leurs chaufferies assurée de 64 % à 100 % par des chaudières bois. De quoi titiller le roi gaz quant au chauffage des bâtiments public et privés, logements ou non, raccordés. Depuis sa prise en main de la compétence « réseau de chaleur » en 2016, liée à son nouveau statut, Saint-Etienne Métropole pilote ces réseaux via des régies publiques, sinon en délégation de service public. Et la collectivité affiche de sérieuses ambitions à ce sujet relayées en septembre par sa vice-présidente au développement durable Sylvie Fayolle (qui a pris le relais d’Hervé Reynaud à l’intérim de sa présidence) à Saint-Chamond.

La réserve de bois déchiqueté alimentant la nouvelle chaufferie du réseau couramiaud début septembre. ©If Média / Xavier Alix

Cela à l’occasion de l’inauguration de l’extension 2022/2023 du réseau couramiaud le portant à plus de 17 km et amenant la création d’une seconde chaufferie. Un investissement à 17 M€ confié via une DSP à Dalkia, filiale d’EDF, jusqu’en 2041. Aux réseaux existants au sein de Saint-Etienne Métropole, parfois d’étendue très modeste (sur quelques centaines, voire dizaines de mètres), 60 km cumulés après les extensions récentes à Saint-Chamond mais aussi Saint-Etienne et une création à Saint-Héand (2019), s’ajoutera « celui de La Talaudière. Sa création a été lancée en août sur plus de 4 km, nous détaillait alors l’élue qui n’a pas répondu à nos nouvelles sollicitations sur ce dossier. Il s’agira du 10e réseau et il doit être opérationnel à l’automne 2024. Il y en aura un 11e, c’est certain, à Saint-Jean-Bonnefonds. Il aurait dû être lancé plus tôt selon nos plans initiaux. Saint-Etienne Métropole a mis en place un schéma directeur et dans l’idéal, nous souhaiterions même parvenir à créer un 12e, voire un 13e réseau sur le territoire avant la fin du mandat. Avec oui, l’idée à long terme, comme pour l’eau, de les interconnecter petit à petit ».

Un coût environ un tiers inférieur au gaz

Double, voire triple argument en faveur de ce développement appuyé par les subventions de l’Etat via l’Ademe (8,4 M€ par exemple accordés pour Saint-Chamond à Dalkia qui porte l’investissement) : d’abord le prix. Pour les abonnés – particuliers, entreprises ou collectivités ou Etat pour leurs bâtiments publics – il est considérablement inférieur au chauffage 100 % gaz, sinon fuel, de l’eau circulant dans les radiateurs. Au moment des présentations du printemps 2022, Dalkia évoquait un coût environ un tiers inférieur pour les Saint-Chamonais grâce à son système (utilisant à 76 % le bois). 6 900 équivalents logements y seront bientôt raccordés. Moins coûteux sur la facture, qui plus est en pleine inflation. Et moins dispendieux aussi en émissions de CO2. Le recours au bois local, c’est enfin une réduction de la dépendance vis-à-vis de l’approvisionnement à l’étranger, sans compter une alimentation renouvelable et son petit dopant pour l’emploi puisqu’il s’agit logiquement de ne pas aller chercher la ressource au-delà d’un rayon de quelques dizaines de kilomètres. L’extension saint-chamonaise garantit ainsi « l’activité de 17 emplois de nos fournisseurs de bois (dans un rayon de 45 km, Ndlr) issu de l’entretien des forêts et cela pour plus de 15 ans », soulignait Dalkia en septembre.

L’extension du réseau saint-chamonais garantit l’activité de 17 emplois de nos fournisseurs de bois issu de l’entretien des forêts et cela pour plus de 15 ans.

Dalkia

Soumise à la législation et au schéma de stratégie nationale de mobilisation de la biomasse (recouvrant le bois énergie, le « biogaz », la méthanisation) décliné en schéma directeur régional, Saint-Etienne Métropole n’est évidemment pas la seule intercommunalité à nourrir des ambitions au sujet du « BE », le « Bois énergie ». Si quelques chaufferies collectives du sud Loire, à l’instar des poêles individuels modernes utilisent des granulés issus principalement des sciures et copeaux compactés, résidus du travail du bois, la plupart utilise avant tout des « plaquettes ». C’est-à-dire du bois jugé inapte à d’autres utilisations par la sylviculture et donc déchiqueté, sinon des connexes, chutes issues de la transformation du bois. Dans les deux cas, les sources d’approvisionnement se doivent d’être situées le moins loin possible de la destination finale. Pour Saint-Etienne Métropole, logiquement, il s’agit donc de se tourner essentiellement vers les Monts du Forez, la Haute-Loire et le Pilat. Problème : les zones forestières de ces territoires ne sont bien sûr pas sollicitées par les seules ambitions de Saint-Etienne Métropole.

Une première étude ressources sur le Pilat

Le Pilat, par exemple. Il est bordé au sud par Vienne Condrieu Agglomération, EPCI plus modeste certes, mais qui comptait aussi, en 2020, huit chaufferies collectives sur son territoire certes sans aucun rapport alors sur le volume consommé par les plus imposantes de Saint-Etienne Métropole. Mais au sud est du Pilat aussi, les réseaux de chaleur se développent. En 2020 encore, une vingtaine d’autres chaufferies, avec comme maître d’ouvrage des communes, le Siel, le PNR ou encore le privé) opéraient, elles, au sein du périmètre du Parc naturel régional (PNR) sans relever de Saint-Etienne Métropole ou Vienne Condrieu Agglomération. Ce n’était là que les principales. En 2020, il y en avait encore une cinquantaine d’autres sur le périmètre étudié (PNR et les deux collectivités) pour un total de 89 présentant, bien sûr, une très grande variété de volume consommé. « Entre la chaufferie par exemple destinée à une seule école et celle alimentant un réseau de chaleur déjà conséquent, cela peut – schématiquement – varier de 1 000 à 10 000 t consommées par an », compare l’association interprofessionnelle Fibois Aura. Alors, si les réseaux et les chaufferies doivent continuer à se développer sur place ainsi que surtout côté nord et côté sud, zones plus densément peuplées, les ressources bois venant du seul Pilat seront-elles suffisantes ?

La plupart des chaufferies identifiées en 2020 sur Saint-Etienne Métropole, le Pilat et Vienne Condrieu agglomération utilise du bois déchiqueté issu de la sylviculture ou de chutes de l’industrie. Image par Leeroy Agency de Pixabay

Malgré, le fleurissement des projets, aucune étude ressource complète n’existait jusqu’il y a peu sur le territoire. PNR du Pilat, Saint-Etienne Métropole et Vienne Condrieu Agglomération ont donc conjointement candidaté en octobre 2019 à l’Appel à manifestation d’intérêt « s’approprier l’approvisionnement de ma chaufferie bois » lancé par le Comité Stratégique Bois Energie (CSBE). Cela en partenariat avec Auvergne Rhône Alpes Energie Environnement (AURA-EE), le regroupement associatif de la filière professionnelle qu’est Fibois Auvergne Rhône-Alpes, l’Union régionale des Communes Forestières (UR COFOR), l’Office National des forêt (ONF) et l’association Sylv’acctes. Cela avec le soutien de l’Ademe, la DRAAF et la Région Auvergne Rhône Alpes. « Cette démarche vise à accompagner le territoire dans sa démarche de développement de la filière bois-énergie locale, en s’appuyant sur les données disponibles sur la ressource forestière, la connaissance de la structuration de la filière bois-énergie locale, et les objectifs de développement de la chaleur bois, définie dans sa démarche de Plan climat et/ou Territoire à énergie positive », introduit le rapport d’étude issu de l’Appel à manifestation d’intérêt daté de début octobre 2021.

Pas touche au moins de 7 cm

Il avertit aussi sur ses propres limites : « Du fait de la situation sanitaire en 2020, il n’a pas toujours été possible de récupérer l’ensemble des données souhaitées. » Cependant, « les données de ce rapport reflètent l’état avancé des connaissances de la filière bois-énergie locale, plus spécifiquement sur le combustible bois plaquette. » Premier objectif cité : « Evaluer la disponibilité en BE (bois énergie, Ndlr) sur le territoire afin d’estimer si le bois local sera en mesure d’approvisionner de nouvelles chaufferies qui s’implanteraient sur le territoire. Saint-Etienne Métropole souhaite développer le BE via la création de 7-8 chaufferies supplémentaires, est-ce qu’elle pourra miser sur un approvisionnement en bois provenant du Pilat ? » L’objectif du territoire est « de rester autonome sur l’approvisionnement en BE de ses chaufferies sans dégrader la ressource en bois du Pilat ». C’est-à-dire ne pas prélever plus que l’accroissement naturel des forêts exploitées.

En prélevant sans cesse de jeunes pousses, même de plus de 7 cm de diamètre, on entrave forcément le renouvellement des sols.

Adam Gibaud, chargé de mission au Parc du Pilat

« Ce bois destiné à brûler en chaufferie n’est évidemment pas le même que le bois d’œuvre, ni même celui de qualité en dessous, dite « palette » pour fabriquer des panneaux ou alors du papier. Il s’agit d’un bois moins intéressant économiquement prélevé sur des pousses assez jeunes entre des arbres dont l’élevage est destiné aux autres utilisations citées. Ce type de bois est déchiqueté par des prestataires* qui approvisionnent ensuite les chaufferies. Cependant, il ne faut surtout pas que le bois prélevé pour cette destination soit d’un diamètre inférieur à 7 cm. C’est ce qui est, d’un point de vue environnemental, recommandé par l’ONF ou encore le CNPF », explique Adam Gibaud, chargé de mission Eau, Forêt et Adaptation au dérèglement climatique au Parc du Pilat. Pour l’agent du PNR, d’autres écueils environnementaux moins immédiats s’ajoutent : « En prélevant sans cesse des jeunes arbustes, même avec des bois de plus de 7 cm, on entrave forcément le renouvellement des sols, le retour des minéraux, cela les appauvrit toujours un peu plus et la biodiversité en pâtit aussi. »

Le Pilat peut encore donner 16 600 t de plus

Adam Gibaud ajoute aussi « qu’avec le bois énergie, on utilise une matière qui stocke le carbone – composant à 50 % du bois – pour le libérer. Même s’il est indéniable que l’impact bois énergie est bien inférieur à l’utilisation du fuel ou du gaz. Reste que la meilleure énergie est celle que l’on ne brûle pas ». Quant au volume disponible de la ressource, le rapport de 2021, qui exclut de son analyse les zones estimées trop difficiles d’accès, est clair : au moment des investigations de terrain, soit avant les dernières extensions de réseau à Saint-Etienne Métropole, comme celle de Saint-Chamond, presque 46 000 t de bois par an issues du Pilat étaient déjà utilisées pour les chaufferies. En l’état, le potentiel maximum utilisable sur l’ensemble du Pilat si on respecte bien les 7 cm de diamètre minima est d’à peine plus 62 000 t, soit une capacité supplémentaire de 16 600 t à 30 % d’humidité. Or, le rapport précise bien que si tous les projets collectifs sur le périmètre concerné de l’étude (PNR et les deux intercommunalités) devaient tous être menées à bien, les besoins s’élèveraient alors à… 100 000 t par an !

La sylviculture, motivée avant tout pour le bois d’œuvre, est amenée à se développer. Ce qui augmentera du coup le potentiel consommable.

Mathieu Condamin, directeur de Fibois 42.

Encore une fois, des EPCI comme Saint-Etienne Métropole et Vienne Condrieu Agglomération peuvent s’adresser à d’autres zones d’approvisionnement bordant leur territoire. Problème : ces dernières sont bordées sur leurs autres flancs par d’autres territoires, eux aussi plus densément peuplés et qui, eux aussi, cherchent potentiellement à développer des chaufferies collectives alimentées par le bois énergie. Alors, s’achemine-t-on vers une impasse ? « Il faut déjà élargir géographiquement le contexte. Le résultat de ce rapport ne concerne que le Pilat. Il existe un schéma régional de biomasse Auvergne-Rhône-Alpes comme l’exige la loi et la ressource, la réflexion et l’organisation de son recours s’évaluent plus pertinemment à cette échelle. D’autre part, la sylviculture, motivée avant tout pour le bois d’œuvre mais qui s’accompagne donc de ces pousses pouvant être destinées aux chaufferies ainsi que des résidus issus des transformations, est amenée à se développer. Le potentiel de 62 000 t sur le Pilat sera donc probablement dépassé avec ce développement », répond Mathieu Condamin, directeur de Fibois 42 contacté par If.

Le bois n’est pas tout seul

L’extension considérable du réseau de chaleur à Saint-Chamond (ici les travaux en centre-ville en juin 2022) en annonce d’autres ainsi que des créations sur Saint-Etienne Métropole. ©If Média / Xavier Alix

Sur le plan environnemental, si on atteint cette consommation de 62 000 t sur le Pilat, excluant donc les zones les moins accessibles, « l’accroissement naturel de la forêt sur le parc n’est pas menacé : la forêt continuera à s’agrandir », souligne Mathieu Condamin qui assure aussi que les professionnels ont bien conscience qu’il n’est dans l’intérêt de personne de scier la branche sur laquelle ils sont assis. « Les coupes rases sont devenues très rares et ne pas prélever à moins de 7 cm de diamètre fait le consensus : c’est acquis. Allez contre ce principe serait de toute façon une perte de temps et d’argent pour les pros. De nos jours, ces derniers sont investis pour une activité et des forêts pérennes toutes les deux. Ils sont accompagnés pour limiter les impacts sur le sol avec des techniques et des équipements plus sophistiqués allant dans ce sens. » Enfin, l’ambition de croissance du recours au bois énergie dans le cadre des objectifs nationaux de transition énergétique affichés par l’Ademe est sans commune mesure avec celle sur l’éolien ou la géothermie. « Dans le cadre des scenarios de montée en puissance des énergies renouvelables pour une neutralité carbone en 2050, le recours à la géothermie doit être multiplié de 5 à 10 quand celui du bois énergie doit l’être par 1,5 à 2 maximum. » Conclusion de Fibois : on peut aller un peu plus loin sur le recours au « BE » tout en ayant conscience que cet accroissement va, oui, se heurter à des limites et ne s’envisage qu’en complément d’autres.

* Extraits du rapport à ce sujet : « Il existe depuis 2010 sur le territoire du Pilat une association « Fournisseurs de plaquette Pilat Sud Loire » des producteurs de bois-énergie adossés à une charte d’engagement pour la qualité du combustible, la qualité de la prestation, la garantie de l’approvisionnement et le respect de l’environnement. Les quatre entreprises qui la constituent sont Recybois, Genthial Travaux du Pilat, Despinasse et la Scierie Grenier. Ensemble, ces producteurs (…) peuvent également mutualiser leurs moyens pour répondre aux plus gros marchés. » De la Loire, de l’Ardèche, de la Drôme, d’Isère, de la Haute-Loire et du Rhône, on recense, au total « à ce jour environ 25 producteurs de bois énergie sur ou à proximité du périmètre étudié, compris dans un rayon de moins de 50 km (des exploitant forestiers donc mais aussi des producteurs directs de Bois énergie ou négociants, scieries, fabricants d’emballages Ndlr). Ces producteurs sont autant d’approvisionneurs potentiels pour de futurs projets de chaufferie qui pourraient émerger à l’avenir à Saint-Etienne Métropole, Vienne Condrieu Agglomération ou encore le PNR du Pilat. »

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