« Il y a 10 ans, l’Allemagne avait la même dette que la France »
François Ecalle est président de l’association « finances publiques et économie » (FIPECO) et ancien rapporteur général sur la situation et les perspectives des finances publiques. Nous avons souhaité obtenir son éclairage concernant la gestion des finances publiques françaises face à la crise sanitaire.
Nous avons vu une succession d’aides, de plans de relances… avec des milliards d’euros annoncés ces derniers mois, alors que l’on parle souvent de la dette et du déficit publics. Comment l’État peut-il se permettre de mettre autant sur la table pendant cette période ?
Il peut se le permettre parce qu’il emprunte assez facilement aujourd’hui et à des taux quasi-nuls voire parfois négatifs. Tout ceci car nous appartenons à la zone euro et la Banque centrale européenne suit une politique monétaire qui permet aux États de la zone d’avoir des taux très faibles. Cela dit, ce n’est pas uniquement valable pour la zone euro car les autres banques centrales, par exemple aux États-Unis, permettent aux États des pays « riches » de se financer à des taux presque nuls.
Pouvez-vous nous rappeler la différence entre la dette publique et le déficit public ?
Le déficit est la différence entre vos recettes et vos dépenses de l’année. Sur une année, si vous avez des recettes de 100 et des dépenses de 110, vous avez alors un déficit de l’année de 10. Mais si l’année d’avant vous aviez déjà connu un déficit de 10 et l’année encore avant, un déficit de 20, etc… alors on parle de dette avec l’accumulation de tous ces déficits. Tant que la dette n’a pas été remboursée, les déficits s’accumulent.
Est-ce que l’emprunt français est beaucoup plus significatif cette année que les années précédentes ?
Oui, il est beaucoup plus important. Si on veut comparer aux emprunts et aux déficits d’il y a 10 au 15 ans en euros, cela n’a pas beaucoup de sens, car il y a eu une inflation et de la croissance depuis. C’est pourquoi les économistes raisonnent en pourcentages du produit intérieur brut. Cela permet aussi de faire des comparaisons avec d’autres pays. On voit que le déficit français de cette année, qui devrait être supérieur à 10% du PIB, est bien supérieur à tout ce que l’on a connu depuis une cinquantaine d’années. Pendant la crise de 2008/2009, nous étions à 6 à 7%, ce qui constituait déjà un record… Il demeure cependant une incertitude sur les prévisions exactes de ce déficit, mais nous serons assurément au-delà de 10%.
Concernant la dette publique, nous en sommes à 119,8 % du PIB pour novembre ?
Oui, nous devrions finir l’année pas très loin de 120% du PIB.
Nous sommes dans la catégorie des mauvais élèves qui n’ont pas réduit leur endettement au cours des dernières années.
François Ecalle, président de FIPECO
Selon vous, avec du recul, la politique de gestion financière française de cette crise est-elle la bonne ?
Oui, nous n’avons pas le choix. Ce déficit vient du fait que, comme l’activité diminue énormément, il y a moins de recettes de manière mécanique. Parallèlement, il y a beaucoup plus de dépenses pour aider les entreprises à survivre. C’est inévitable. Si on ne voulait pas connaître ce déficit, il faudrait augmenter les impôts et réduire les dépenses. Aujourd’hui, c’est inenvisageable et économiquement ce serait absurde. Après, il faut bien avoir en tête que l’on prend un risque à long terme lié au fait que l’on ne pourra peut-être pas se financer aussi facilement jusqu’à la fin des temps… Rien ne nous permet de garantir que les Banques centrales ne remonteront pas un jour ou l’autre leurs taux d’intérêt. Il faudra alors payer beaucoup plus cher. Aujourd’hui, nous assumons de prendre un risque calculé.
Par rapport à nos voisins européens, sommes-nous dans la même situation ?
Pas totalement. Par exemple, les Allemands et les pays du Nord partent avec des dettes beaucoup plus faibles que la nôtre. L’année dernière, ils avaient un déficit beaucoup moins important que nous. Nous sommes plus proches des pays du Sud de l’Europe. Nous n’avons pas une dette aussi grande que celle de l’Italie ou de la Grèce, mais elle est à peu près équivalente à celle de l’Espagne. Nous sommes dans la catégorie des mauvais élèves qui n’ont pas réduit leur endettement au cours des dernières années. Il y a 10 ans, l’Allemagne possédait la même dette que la France puis nous avons divergé. Les Allemands ont davantage de marge de manœuvre que nous. Les Italiens, moins…
En local, et par exemple dans la Loire, quel impact peut avoir cet endettement s’accumulant au fil des années ?
Un jour, il faudra reprendre le contrôle de la dette publique et donc réduire le déficit annuel. Je ne dis pas qu’il faut le faire dans l’immédiat, ni même en 2021. Ce qu’espère le Gouvernement, c’est que la reprise de la croissance le permettra et que cela suffira. À mon avis, c’est un vœu pieux et cela ne suffira malheureusement pas. À un moment ou un autre, il sera nécessaire de reprendre le chemin des économies budgétaires. Sinon, il faudra augmenter les impôts, ce qui n’est pas très souhaitable car ils sont déjà très élevés en France. Tout cela concernera autant les habitants de la Loire que ceux de tous les autres départements français…
Y a-t-il des raisons malgré tout d’être positif ?
Ce qui est favorable, c’est le comportement des Banques centrales. Elles n’auraient pas fait tout cela il y a 10 ans, et encore moins dans la zone euro où le Traité de Maastricht nous interdit normalement de faire ce genre de choses. À l’origine, les Allemands ont accepté d’abandonner le Mark en mettant des conditions. Ils ont accepté de fait d’abandonner ces conditions. Mais combien de temps cela va-t-il durer ? Personne ne le sait. Peut-être qu’un jour, si les politiques économiques divergent trop entre le Sud et le Nord de l’Europe, ils pourraient en avoir assez…
Retrouvez les chroniques de François Ecalle sur le site de l’association FIPECO