Artificialisation des sols : la fin de la « récré » a-t-elle vraiment sonné ?
S’appuyant sur une synthèse statistique réalisée par un de ses militants à partir de données gouvernementales, EELV (Europe Ecologie Les Verts) pointe une artificialisation effrénée des sols sur la décennie écoulée en Sud Loire, en particulier à Saint-Etienne Métropole. La contrainte législative – 0 artificialisation en 2050 – va y mettre fin, répond sa majorité exécutive qui argue de politiques d’aménagement de densification en zone urbaine. Bien trop tard et pas assez vite, estiment les écologistes…
Le constat est implacable. Olivier Longeon, élu EELV communautaire stéphanois d’opposition le relaie dans sa tribune libre au sein du dernier Sem Mag, le magazine de Saint-Etienne Métropole de mai/juin. Et au sein de l’assemblée métropolitaine, c’est un autre élu de son groupe, Jean Duverger qui a interpellé la majorité à ce sujet. De 2009 à 2019, Saint-Etienne Métropole – à périmètre constant, c’est-à-dire en intégrant les communes l’ayant rejointe après 2009 – est passée de 401 026 habitants à 405 570, gagnant ainsi 4 453 habitants. Dans le même laps de temps, elle a artificialisé 6 078 761 de mètres carrés (607,78 ha), soit pas moins de 1 365 m2 pour chaque nouvel habitant.
« Or, en 2006, la moyenne du nombre de m2 artificialisé par Français s’élevait 450 m2 ! 2009, ce n’est quand même pas la préhistoire d’une conscience écologique, du grignotage de la nature et des surfaces agricoles. Mais malgré ça, malgré tous les discours déjà entendus à cette époque, on a continué à artificialiser dans des proportions et à un rythme effroyable », constate, dépité, Marc Grossouvre. Ce militant stéphanois d’EELV* est ingénieur en sciences des données et travaille pour URBS, société d’analyse data sur le logement. Mais c’est à titre purement privé, pour ses convictions, qu’il a compilées il y a quelques mois les données évoquées plus haut. « Il s’agissait d’appuyer avec des chiffres concrets un collectif à Andrézieux-Bouthéon (Agir ensemble pour la transition écologique d’Andrézieux-Bouthéon, Ndlr) inquiet du rythme d’artificialisation sur leur commune ».
Seulement 14 communes sous la moyenne
D’où viennent ces données ? « Ce sont celles officielles du ministère de l’Ecologie. J’ai utilisé plus exactement les stats publiées par le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, Ndlr). Mon travail a simplement consisté à les compiler, commune par commune, dresser un tableau, effectuer un total et comparer avec l’augmentation de la population, là à partir des données Insee. » Mais qu’entend-on par « artificialisé » ? Il s’agit des surfaces sorties de leur état naturel, agricole ou forestier pour être converties en logements ou zones et locaux d’activités économiques (industriels, commerciales) ainsi que toutes les infrastructures qui les entourent (routes, parkings…), jusqu’aux jardins pavillonnaires.
Marc Grossouvre s’est aussi intéressé aux donnés de Loire Forez et Forez Est. Elles sont aussi largement au-dessus de la moyenne nationale avec 634,9 m2 artificialisés de 2009 à 2019 par nouvel habitant pour la première intercommunalité, 944,7 pour la seconde. Au sein de Saint-Etienne Métropole, sur 53 communes, seules 14 dont Saint-Etienne ont, sur cette période été dans la moyenne ou en dessous de la moyenne artificialisée par Français en 2006 pour chaque nouvel habitant gagné sur ces 10 ans. 11 ont continué à artificialiser bien au-dessus de cette moyenne initiale alors que leur population baissait, en particulier Roche-la-Molière (environ 50 m2 par habitant alors que la ville en a perdu 446). Et, dans une moindre mesure Saint-Chamond avec environ 8 m2 par habitant alors que la ville en a perdu 1 050 ainsi que Rive-de-Gier avec 16 m2 par habitant pour 317 Ripagériens de moins.
52 ha artificialisés en 10 ans à Andrézieux-Bouthéon
Des communes avec des profils différents, beaucoup plus petites en population présentent aussi un bilan d’artificialisation rythmé : Chagnon a par exemple vu une artificialisation à hauteur d’environ 46 m2 par habitant alors qu’elle perdait 8 administrés. A Rozier-Côtes-d’Aurec, cela a été de 33 m2 par habitant pour 6 de moins sur la période. Selon l’étude de Marc Grossouvre cependant, la majorité des communes de Saint-Etienne Métropole, 28 sur les 53, ont certes vu leur population augmenter mais en artificialisant plus vite que la moyenne nationale. « Dans ce groupe, c’est Andrézieux-Bouthéon qui domine largement (en valeur absolue, Ndlr) avec plus de 52 ha artificialisés pour moins de 300 habitants supplémentaires. Autrement dit, pour chaque nouvel habitant, cette commune a bétonné plus de 1 600 m2 ! »
Tout le monde a eu et aura toujours de bonnes raisons, des projets tous plus indispensables que les autres.
Marc Grossouvre, militant EELV
On remarque aussi L’Horme qui a artificialisé 15 ha pour seulement… 7 nouveaux habitants. « Tout le monde a eu et aura toujours de bonnes raisons, des projets tous plus indispensables que les autres, de bonnes justifications pour bétonner, faire reculer les espaces naturels agricoles, note Marc Grossouvre. Mais quand on voit en parallèle l’effondrement de la biodiversité à laquelle n’échappe pas du tout la Loire, le réchauffement climatique, les ilots de chaleur urbaine – lors des dernières canicules, on a constaté jusqu’à 6-7° de différence entre le centre de Saint-Etienne et les zones rurales périphériques de même altitude – et enfin, pour ne parler que de l’Homme la pénurie de blé qui va bientôt arriver, c’est tout sauf rassurant… »
L’objectif « Zéro Artificialisation Nette (ZAN) » en leurre ?
Cette artificialisation à Saint-Etienne Métropole a été consacrée, en moyenne, à 73,7 % à l’habitat, le reste à des activités économiques. Avec des situations extrêmement variées : plus de 90 % pour de l’habitat à Saint-Chamond ou L’Horme (et même 100 % pour 10 autres communes) contre, à l’opposé par exemple, à plus de 93 % pour de l’activité économique à Saint-Priest-en-Jarez. Reste que pour Marc Grossouvre, « la métropole est engagée dans un étalement urbain à marche forcée qui est sans rapport avec son attractivité. C’est la preuve, s’il en fallait, que construire des logements ou des zones d’activité ne suffit pas à faire venir des habitants. C’est l’attractivité qui compte, surtout quand on sait que la loi vise une artificialisation 0 en 2050. » La Loi en question ? Climat et résilience publiée au Journal officiel le 24 août 2021. Elle vise le « Zéro Artificialisation Nette (ZAN) » comme une obligation à partir de 2050.
Trop tardive pour le militant écologiste et trop vague dans ses modalités pour empêcher de nouveaux dégâts d’ici là alors qu’une révision du Schéma de cohérence territorial (Scot) à l’échelle Loire Sud, document qui commande les Plans locaux d’urbanisme intercommunaux (Plui) et, en dessous encore, Plans locaux d’urbanisme (Plu) est en cours. « Il n’y a pas de rythme exigé et imposé par la loi, assure Marc Grossouvre. Aussi, on peut se demander s’il n’y a pas eu l’idée de bétonner à fond tant qu’il en était encore temps et si cette logique ne va pas se poursuivre dans les années à venir. Après quoi, il sera forcément facile sur la dernière décennie avant le ZAN de se montrer vertueux en faisant moins et présenter une chute des stats spectaculaire ! » La majorité de Saint-Etienne Métropole, quand il s’agit de zones économiques, insiste pourtant très souvent sur la réutilisation de l’existant en friche, sinon en reconversion après avoir rasé des zones de logements sous-utilisées.
« Si, l’Etat oblige bien à consommer moitié moins de 2021 à 2031 »
La Ville de Saint-Etienne, elle aussi, à propos par exemple de projets d’habitat, à partir des friches comme dans le quartier du Soleil, quand d’autres sont rasées pour créer des aérations végétales comme l’illustre le parc urbain qui remplacera l’ilot rasé de l’ex-cinéma Eden. « Certes, l’artificialisation sur le territoire d’une grande commune comme Saint-Etienne a été limitée de 2009 à 2019 par rapport à la moyenne des autres de la métropole (+ 280 m2 par nouvel habitant, 1 860 stéphanois de plus en 10 ans pour un total de plus de 52 ha) mais on peut estimer qu’elle a été finalement reportée sur sa périphérie. Je pense qu’il y a beaucoup de communication sur des projets phares mais que derrière, la politique menée à ce sujet ne va pas très loin. Saint-Etienne a encore énormément de logements vacants après avoir perdu beaucoup d’habitants depuis les années 1970. »
Confronté par If Saint-Etienne à cette étude et cet argumentaire, Gilles Thizy, maire de Marcenod, 6e vice-président en charge de la cohésion territoriale et de la stratégie foncière de Saint-Etienne Métropole est loin de contredire les écologistes. Mis à part sur un point et pas des moindres: « Si, l’Etat va bien obliger les collectivités en vue du ZAN en 2050, à diminuer de moitié le volume foncier artificialisé sur la décennie qui a commencé, c’est-à-dire de 2021 à 2031. Le Plui de Saint-Etienne Métropole qui sera révisé sur ce mandat le prendra bien en compte. » Et la référence sera la consommation observée de 2009 à 2020. Pour le reste, lui aussi constate que l’artificialisation sur la Métropole a été énorme, « l’équivalent de la taille du territoire de la commune de Fontanès. Bien sûr que c’est trop. Mais ce n’est pas toujours visible car, ça n’a pas été fréquemment des projets spectaculaires mais plus étalés dans le temps, un lotissement ici, un bâtiment industriel là… »
« Il faut apporter des nuances »
Les données sur lesquelles l’exécutif de Métropole travaille sont d’ailleurs très proches de celles de Marc Grossouvre, se basant entre autres mais aussi sur le Cerema. Il y ajoute même une année (2020) et donc 40 ha artificialisés pour un total de 647 ha. « Oui, sur l’ensemble de la décennie, trop de communes ont artificialisé à tout va et n’ont pas cherché à être vertueuses au regard de l’enjeu. Mais il faut tout de même apporter des nuances à l’analyse globale, tempère cependant Gilles Thizy. Déjà, ces 647 ha représentent 38 % de l’artificialisation totale des quatre intercommunalités du Scot Sud Loire en 11 ans alors que Métropole représente 66 % de leurs populations additionnées. Loire Forez, selon nos données, est à 611 ha soit 36 % de l’artificialisation sur le Scot Sud Loire… »
Ensuite, ces données totalisent 11 ans de consommation mais le rythme se serait calmé, selon l’élu, à partir de 2014 et l’application du Scot Sud Loire. « Il a amené des contraintes sur les Plu et donc des réductions de surfaces constructibles. A Marcenod, nous les avions réduites de 8 ha. A Genilac, 64 ha constructibles avaient été supprimés des documents d’urbanisme. Après oui, les situations varient, les communes ayant été plus ou moins vertueuses. Mais globalement, au début des années 2010, on était à un rythme de 60 ha par an consommés contre 40 une décennie plus tard. Si l’incitatif a commencé dès 2000 avec la loi SRU puis le Grenelle de 2008, il a fallu attendre une circulaire de 2018 pour que la contrainte commence à être mise sur la table. Mais s’il est vrai que la loi ne donne pas de rythme à tenir après 2031, nous avons désormais une feuille de route imposée pour les 10 ans à venir. »
« La population n’a pas conscience de tout ça »
Pour Gilles Thizy, par ailleurs vice-président du Scot Sud Loire, les politiques le savent mais si nul élu n’est du coup censé ignorer cette loi, difficile d’en dire autant des particuliers : « La population n’a pas conscience de tout ça. Si vous saviez la quantité de courriers que nous recevons pour faire passer des terrains en constructible. Il y aura des choix difficiles à expliquer et des déçus. » De quoi faire monter, aussi, les prix de ce qui restera disponible à construire ou racheter sur le long terme si la population continue à augmenter ou quitter les zones urbaines denses. Aussi nécessaire qu’il soit, l’objectif zéro artificialisation risque de mettre à l’avenir hors de portée des petites et moyennes bourses le pavillon périurbain…
Quant à la réutilisation des friches urbaines, trop timidement menée aux yeux des écologistes, Gilles Thizy souligne « qu’hélas, les bonnes intentions ne suffisent pas ». La collectivité locale se voit souvent confrontée aux lourdeurs et paradoxes administratifs – fatalement ? – inhérents à un Etat de droit. Ce qui fait que bien des initiatives mettent un temps fou, pour telle ou telle raison : « Là, un liquidateur judiciaire cherche pendant des années à tirer le meilleur prix d’une parcelle en friche (allusion à Duralex à Rive-de-Gier). Ici, le PPRI (Plan de prévention des risques d’inondation) limite l’avancée d’un projet. Ailleurs, la Dreal n’est pas d’accord avec le programme de dépollution envisagée sur un site industriel abandonné, etc. Après il y a aussi eu des avancées comme Novaciéries, ou finalement aussi Duralex.»
Revoir notre façon d’habiter
Il n’empêche : pour Gilles Thizy, même si une ministre s’est faite taper sur les doigts pour l’avoir dit quelque peu brutalement – « le pavillon individuel, c’est fini », rappelle-t-il – , elle ne serait pas si loin de la vérité : il faudra admettre de revoir notre façon d’habiter. Vis-à-vis des mentalités, ce n’est pas sans espoir quand on voit, signale cependant l’élu en évoquant une étude du Scot Sud Loire durant le confinement disant que le rêve des interrogés n’était pas forcément la maison avec 1 000 m2 isolée en campagne mais avant tout de posséder un extérieur…
*Comme l’intéressé nous l’a fait remarquer lui-même lors de notre échange – et que nous ignorions au moment de nous rencontrer –, nous signalons à nos lecteurs qu’il est le conjoint de la candidate Nupes/EELV de la 1ère circonscription aux élections législatives.