Saint-Étienne
samedi 27 avril 2024
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Me Olivier Bost : « Notre profession souffre d’un déficit d’image »

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Me Olivier Bost est devenu Bâtonnier de l’Ordre des avocats stéphanois en ce début d’année 2022. Avec lui, nous revenons sur les enjeux de son mandat qui va s’étaler sur deux ans, les caractéristiques du Barreau stéphanois mais également, plus globalement, sur l’état de la justice en France.

Quels sont les objectifs que vous souhaitez mener à bien pendant votre mandat de Bâtonnier de l’Ordre des avocats de Saint-Etienne ?

Au niveau de la proximité de l’avocat avec les citoyens, que ce soit les particuliers ou les entreprises, nous souffrons d’un déficit d’image. On pense que l’avocat vit dans sa tour d’ivoire, qu’il est inaccessible… C’est un point sur lequel j’aimerais essayer, avec mes petits moyens, de changer les choses. Nous avons besoin d’explications et d’une plus grande démocratisation de l’accès à l’avocat. Nous le faisons déjà beaucoup au Barreau de Saint-Etienne car nous avons mis en place des consultations gratuites, les permanences pour les mineurs ou étrangers… Les avocats intervenant pour ces permanences sont tous volontaires, ce n’est pas une obligation comme dans certains barreaux. Cela reste une charge pour ces avocats et constitue une véritable mission de service public faite avec l’aide juridictionnelle en grande majorité. Le Barreau de Saint-Etienne a notamment été précurseur sur le groupe de défense auprès des mineurs alors que la loi est venue l’imposer récemment.

Parallèlement, l’ambition est de transmettre un message clair et de vulgariser les choses. On nous reproche souvent, tant à l’écrit qu’à l’oral, que l’on ne comprend pas ce que l’on dit. Il existe en effet un jargon juridique, spécialisé mais il est tout à fait possible de le rendre plus simple et accessible. C’est très important. Il existe un besoin de comprendre de la part de tout le monde. On ne peut pas se permettre de tenir un discours inintelligible.

Enfin, nous avons un barreau stéphanois composé de 330 avocats, avec une moyenne d’âge se situant à 46 ans. Cela en fait un Barreau assez jeune et dynamique qui accueille de nombreux nouveaux avocats. Cette année, nous avons accueilli 10 nouveaux confrères. Nous avons également la spécificité à Saint-Etienne d’avoir une moitié d’avocats plaidants et une moitié d’avocats conseils. Cela va de pair avec la taille et le bouillonnement du tissu économique du bassin stéphanois et au-delà. Les entreprises locales conservent en général un avocat ancré dans leur région et c’est quelque chose que je voudrais valoriser. Cela passe donc par une réponse à apporter aux spécificités des confrères intervenant en conseil.

Il faut donc, selon vous, faire mieux connaître le travail des avocats conseil ?

Oui, c’est une de mes ambitions. Il faut que ces avocats-là communiquent mieux et se sentent davantage concernés par les missions de l’Ordre. Aujourd’hui, 17 membres sur 18 qui siègent au Conseil de l’Ordre à Saint-Etienne sont des avocats plaidants. Cela entraîne le fait qu’on ne traite souvent que des problématiques des plaidants… Cela dit, il ne faut pas oublier que le Conseil de l’Ordre ce n’est pas qu’une gestion de problématiques mais aussi des thèmes de travail.

Il ne faut pas oublier que le Conseil de l’Ordre ce n’est pas qu’une gestion de problématiques mais aussi des thèmes de travail.

En tant que Bâtonnier, avez-vous un moyen d’inciter les avocats conseil à davantage participer ?

Je les sollicite, je les invite… Beaucoup me disent que ce serait bien de participer mais que l’Ordre parle surtout des problématiques des plaidants. C’est un peu le serpent qui se mord la queue. Cette situation se retrouve dans de nombreux Barreaux français. C’est très dommage car la fusion des barreaux plaidants/conseils date de 1991 et il faut absolument que l’on arrive à parler des thèmes qui intéressent les avocats conseils.

La justice en France ne se porte pas très bien, avec des mouvements réguliers demandant davantage de moyens. Votre prédécesseur nous expliquait qu’il existait un paradoxe entre un appel toujours plus grand à la justice de la part de la population mais des moyens qui ne sont pas à la hauteur. Est-ce une problématique qui vous intéresse ?

Oui, forcément. Quand nous avons vu qu’un avocat a été nommé garde des Sceaux, nous avons pensé que nos demandes seraient plus écoutées. En réalité, on s’aperçoit que cela ne change rien. La problématique reste la même, touchant autant les moyens financiers que les moyens humains. Le grand discours actuel du garde des Sceaux est que l’Etat a augmenté de 8 % le budget de la justice. Cela est vrai, mais plus de 70 % de cette augmentation est partie dans ce que l’on appelle « la pénitentiaire ». Je ne dis pas que ce pan n’est pas important mais la justice civile est totalement sinistrée. Il existe un manque d’embauches de greffiers, d’assistants et de magistrats. Il faut faire tourner des juridictions avec moins de personnel que prévu, ce qui rallonge les délais, notamment à la Cour d’appel où on se retrouve avec des délais qui atteignent quatre ans… Tant qu’il n’y aura pas un engagement fort de l’Etat qui décidera que la justice est une cause nationale, on n’avancera jamais.

Il faut absolument que l’on arrive à parler des thèmes qui intéressent les avocats conseils.

Les avocats s’étaient même mobilisés aux côtés des magistrats en décembre dernier. Un moment important ?

Il y a eu une magistrate qui s’est suicidée. S’en est suivie une tribune signée dans Le Monde et nous nous étions greffés au mouvement. Depuis, on n’en parle plus… Je repense à la grève des avocats qui avait duré trois mois contre la réforme des retraites, alors que là c’était une journée. Donc aujourd’hui, rien n’est résolu. Nous sommes en plein dans les Etats généraux de la justice pour lesquels la Chancellerie demande à chaque institution dont font partie le CNB et la Conférence des Bâtonniers, de faire des projets de contribution.

Pensez-vous que ces Etats généraux peuvent faire évoluer la situation ?

Le petit point positif que j’y vois, c’est que le président du comité indépendant des Etats généraux de la justice s’appelle Jean-Marc Sauvé. Ce dernier était celui qui avait présidé la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise. Selon moi, c’est quelqu’un d’ambitieux et qui ne lâche jamais. Il a d’ailleurs demandé que sa mission pour les Etats généraux de la justice continue après les élections présidentielles. Un bon signe d’une volonté d’une réforme en profondeur. D’ailleurs, il serait bien que les candidats aux présidentielles se positionnent sur cette question de la justice, qui n’est jamais évoquée pendant les campagnes. On parle des peines de prisons, des peines plus fortes, de sécurité… mais jamais de justice. Notre petite espérance se situe dans le fait qu’il y ait davantage de temps pour trouver des solutions et des moyens.

Est-ce que la crise sanitaire a davantage aggravé la situation de la justice ?

La crise a rallongé les délais mais n’a pas changé d’autres points. Nous avions une inquiétude vis-à-vis du fait que certaines audiences se déroulent en visio. Expliquer à un ou plusieurs magistrats un dossier sans être physiquement présent aux côtés de son client mais par le biais d’une caméra, c’est quand même difficile. Nous l’avons fait mais les magistrats partagent notre avis sur le fait que ce ne soit pas réellement adéquat.

Le lien avec les décideurs locaux est également un point sur lequel vous souhaitez accentuer l’activité du Barreau ?

Nous faisons remonter nos demandes aux députés et sénateurs, mais il n’y a pas réellement de rencontres à proprement parler. Cela me semble être un élément important, d’avoir des rendez-vous plus formels. Cela est également valable pour les autres professions avec lesquelles nous sommes liés du fait de nos activités professionnelles. Je pense aux notaires et experts-comptables par exemple ou encore renforcer les liens avec les magistrats et personnels de justice comme les huissiers ou greffiers. Cela peut passer par la mise en place de formations sur des thèmes transversaux.

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