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Dino Cinieri en héraut de la réserve parlementaire

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Faut-il rétablir la réserve parlementaire ? En 2013, son ahurissante opacité – attribution comme utilisation – avait été levée grâce au combat d’une association. Cette somme d’argent public était à la disposition individuelle des députés et sénateurs. Ils la répartissaient sur des projets de collectivités, sinon associatifs de leur choix jusqu’à sa suppression en 2018. Arguant que depuis, ses substituts font preuve d’incapacité à compenser une perte de financement rapide et pragmatique, un trio de députés dont le Ligérien Dino Cinieri (4e circonscription, LR) s’est lancé dans sa restauration.

Façade de l’Assemblée.

La question, révolue, de l’opacité du système en place jusqu’en 2013 est une chose. Celle du bienfondé d’accorder ces subventions via ce mode de fonctionnement que ses défenseurs estimaient efficace en est une autre. Regardons dans le rétro : la réserve parlementaire remonterait à Pompidou et sa répartition entre députés et sénateurs ainsi que son utilisation sont, sans justification, restées sous cloche pendant plus de 40 ans. Une entorse évidente au fonctionnement d’une démocratie qui, pendant des décennies, n’a pas semblé émouvoir plus que cela les parlementaires, de gauche ou de droite. Il aura fallu 2 ans d’un véritable combat mené par Hervé Lebreton et son association « Pour une démocratie directe » flanqués d’un recours administratif et d’une injonction d’un tribunal pour qu’enfin, en 2013, le Parlement s’impose à soi-même la transparence sur l’attribution des sommes et l’utilisation de ces 150 M€ d’argent public.

Boucler le financement de la nouvelle salle polyvalente municipale, réparer le toit de l’église du village, donner un coup de main à une association caritative, au comité des fêtes : dans l’idéal, elle servait à satisfaire des sollicitations de petite envergure mais à l’accord essentiel pour leurs acteurs en s’affranchissant d’un parcours administratif éreintant. Faits courants pour les détracteurs, isolés pour les défenseurs du système, il y avait, forcément, des cas de clientélisme liés à l’accord à telle association, telle mairie de cette somme à un de leurs projets. Sans compter ceux carrément délirants publiés dans la presse nationale : ici une ville de 40 000 âmes dont le maire était aussi parlementaire touchait à elle seule des millions par an issues de sa « cassette », là une association, dirigée par une épouse du généreux élu, avait reçu une coquette somme quand une association bénéficiaire n’était pas présidée par l’élu lui-même… Les exemples ne manquent pas : de là à en faire une règle de (mauvaise) conduite pour 925 parlementaires, c’est une autre affaire.

Des critères d’attribution qui interrogeaient

En 2013, la publication des sommes attribuées aux élus ligériens n’avait pas démontré, selon nos souvenirs, une différence très notable de traitement. Car oui, autre problématique effarante : le montant attribué – 130 000 € en moyenne pour les députés, un peu plus pour les sénateurs – variait énormément d’un parlementaire à l’autre jusqu’à une uniformisation en 2012 basée sur cette même moyenne par député. Avant cela, la réserve allait des 12 M€ par an accordés à Bernard Accoyer, alors président de l’Assemblée nationale (somme cependant qui n’était pas seulement répartie sur sa circonscription) à… 0 euro. Certains nouveaux venus à l’Assemblée n’étaient même pas mis au courant de l’existence de la réserve ! Jusqu’en 2007, les critères d’attribution étaient la présence et implication dans le travail parlementaire, leur ancienneté et les postes occupés (questeur, président de commission, 4e ou 5e mandat). Sans le moindre souci de mettre sur un pied d’égalité les différents habitants des différentes circonscriptions que chaque parlementaire représente, certes plus ou moins bien…

Quand je suis arrivé à l’Assemblée en 2002, ils voulaient tous aller à la commission finances, moi je ne comprenais pas pourquoi.

Dino Cinieri, député de la Loire

Jusqu’en 2002, le président de la commission des finances et le rapporteur décidaient – seuls – des sommes « accordées » à chaque député avant de partager cette tâche avec les présidents de groupes politiques. « Quand je suis arrivé à l’Assemblée en 2002, ils voulaient tous aller à la commission finances, moi je ne comprenais pas pourquoi, se souvient le député ligérien Dino Cinieri. Mais je vous le dis sans souci : si avant 2012, on m’avait donné 250 000 €, je les aurais pris et utilisés à bon escient en faveur de tous ces gens, toutes ces initiatives qui en ont besoin sur mon territoire. Car c’était un très bon système dans sa globalité : ce n’est pas parce que vous avez quelques individus ont mal agi qu’il fallait tout supprimer. Evidemment, que la transparence est essentielle. Me concernant, je l’ai toujours été et je peux me regarder dans une glace ! » Comme les autres parlementaires de la Loire en 2013, Dino Cinieri a toujours clamé sa sincérité et son impartialité politique dans l’accord des subventions, précisant que l’information était systématiquement relayée dans la presse et que les dossiers attendaient dans les placards de sa permanence quiconque souhaitait les éplucher.

Dino Cinieri, député LR de la 4e circonscription de la Loire. ©Assemblée nationale

Epineux cheminement administratif

Il estime que les substituts à la réserve parlementaire ne remplissent pas aussi efficacement le rôle, loin de là, au désespoir des acteurs désargentés du territoire qui, parfois, espèrent encore pouvoir obtenir une aide par le biais de leur député. En 2018, les 150 M€ de la réserve ont en effet réintégré le budget général de l’Etat pour alimenter la DETR (Dotation d’équipement des territoires ruraux) et le FDVA (Fonds pour le développement de la vie associative) sur la base d’appels à projets avec des seuils minimaux variables pour la subvention sollicitée (1 000 à 5 000 €) selon les années et les départements. Ce sont désormais les préfectures qui ont la main sur l’accord ou non de la somme à la suite d’un épineux cheminement administratif. Et « ils ne le diront bien sûr jamais mais ça les saoule parce qu’ils ont bien autre chose à faire que de gérer ça en plus de tout qui s’accumule. Ils n’attendent que ça, le retour de la réserve, assure Dino Cinieri. Ce nouveau système est infernal : c’est le parcours du combattant alors que parfois une petite association utile mais sans moyen, sans salariés nous demandait 700-800 € juste pour acheter un frigo, boucler le financement d’un événement ou même passer l’année ! Au final, on n’irrigue beaucoup moins les territoires qu’avec l’anciens système. »

IIs ne le diront bien sûr jamais mais les préfets, eux, n’attendent que ça le retour de la réserve parlementaire.

Dino Cinieri, député de la Loire

Et quand il voit le maire de Montarcher, 66 habitants, « remonter lui-même le mur du cimetière, comme il y a 6 mois parce que sa commune n’a pas les moyens, je me dis que ceux qui nous taxent de clientélisme n’ont rien compris. Pas plus qu’ils ne comprennent qu’on a besoin de retrouver la souplesse de la réserve ou l’abandon des territoires ruraux qui ne bénéficient pas des mêmes programmes nationaux que dans les grandes villes. Bien sûr qu’il faudra un cadre plus précis, des règles de transparence. Nous y travaillons et avons d’ailleurs déjà mis au point une charte ». Mais n’est-ce pas ce genre de garanties qui, dans un Etat de droit, conduit à ce défaut de la lourdeur administrative ? « Quand on veut faire plus simple, on peut. A la Région Aura, on l’a fait et ça fonctionne : on est passé sur les demandes de subventions de 25 pages sous l’ancienne majorité à 5 de nos jours », balaie Dino Cinieri. C’est à l’issue d’un échange début 2023 avec André Villiers (député Horizons de l’Yonne) à Paris qu’il s’est lancé avec ce dernier dans le combat d’un rétablissement de la réserve parlementaire.

Dino Cinieri aux côtés d’un « repenti »

23 octobre 2018 (XVe législature) : un an après l’adoption de la fin de la réserve. Richard Ferrand est alors président de l’Assemblée nationale. © Assemblée nationale

Depuis, c’est un collectif d’une vingtaine de députés qui est à l’œuvre, avec un triumvirat à sa tête puisque Frédéric Descrozaille (Renaissance, Val-de-Marne) a rejoint le duo. « Lui, comme d’autres, est un repenti. Il avait voté en 2017 la suppression et s’est rendu compte rapidement à quel point c’était une connerie. Il nous l’a dit et fait partie de ces gens intelligents capables de changer d’avis », commente le député ligérien LR. Ayant fait appel selon la Lettre A au lobbyiste Impulso conseil, agence d’influence codirigée par Nicolas Martin-Lalande, un ex-collaborateur parlementaire très introduit au Palais Bourbon, leur démarche a donné lieu à un séminaire de réflexion avec les parlementaires le 7 juin ainsi qu’au lancement d’une pétition citoyenne en ligne le 25 juillet. La proposition de loi organique n°810 « visant à rétablir la pratique de la réserve parlementaire, au profit des petites communes et des associations » a, elle été déposée le 1er février 2023. Objectif : la faire inscrire le retour à l’ordre du jour encombré de l’Assemblée. L’initiative a obtenu le soutien de l’AMF et se veut transpartisane : chaque jour, des députés la rejoignent.

Mercredi soir, leurs rangs avaient dépasser les 160 (et parallèlement une cinquantaine de sénateurs toujours plus nombreux aussi). 12 Démocrate (MoDem et Indépendants) ; 5 non-inscrits, 7 Horizons ; 3 La France Insoumise ; 13 Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (Liot) ; 19 Renaissance ; 2 Socialiste et apparentés et surtout, 44 Les Républicains et 58 Rassemblement national. Pas de communistes ni d’écologistes à ce stade dans la troupe mobilisée. Si la loi devait être votée, l’accord de fonds issus de la réserve varierait de 500 € minimum à 15 000 € maximum. Elle serait à nouveau fonction de leur choix mais ne pourrait désormais concernée que « la participation au financement de projets présentés par des associations ou des communes de moins de 18 000 habitants ». La charge pour l’État serait « compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs ». Faut-il encore que la loi arrive dans l’hémicycle. Or, souligne Dino Cinieri, la présidente assemblée nationale Yaël Braun-Pivet avait été la rapporteuse du texte portant la suppression de la réserve en 2017…

S’estimant mal compris sur le fond et la forme de leur démarche et soumis à une volonté préalable de « subordination » dans des discussions préalables, le trio de députés a annulé à ce sujet un rendez-vous avec le cabinet de la Première ministre mardi matin…

André Taurinya, député stéphanoise LFI : « Pas favorable à ce retour »

Andrée Taurinya, députée stéphanoise LFI de la 2e circonscription. ©Assemblée nationale

Contactée par If Saint-Etienne, la député stéphanoise LFI a donné sa position personnelle de son groupe sur le sujet du retour de la réserve parlementaire. « S’il y a des députés qui se sont associés à cette initiative, c’est de manière isolée. Notre groupe est clairement opposé à ce retour. Le clientélisme lié à la réserve parlementaire n’était pas forcément systématique mais forcément extrêmement présent. Bien sûr que des voix s’achetaient ainsi. Et même avec de bonnes intentions au départ, les citoyens d’une commune, les adhérents d’une association peuvent se sentir personnellement redevables, changent leur regard. Alors même si l’encadrement et la transparence avaient progressé et que l’on peut les faire progresser, c’est insuffisant : ce sentiment fatal de redevabilité envers l’élu, ce n’est pas sain. »  Ce n’est pas pour autant qu’Andrée Taurinya estime les financements de substitution qu’elle considère très mal calibrés.

Refondre la FDVA

Dans le cadre d’une solidarité nationale objective, mieux vaut, à ses yeux, augmenter et refondre le FDVA pour qu’il se montre plus accessible, plus rapide, plus efficace, plus généreux. « Quand j’ai fait le tour du dernier Forum des associations à Saint-Etienne, énormément m’interpellaient pour savoir si je pouvais les aider sur des subventions. Les besoins sont criants mais l’information sur la fin de la réserve et l’existence du FDVA n’est même pas passée pour beaucoup. Et elles n’ont pas forcément le temps et la capacité à répondre à sa lourdeur administrative dont souffrent aussi les mieux structurées. J’appartiens au CA du Nouveau Théâtre de Beaulieu : cet aspect-là occupe un salarié à plein temps ! L’activité d’une association ne doit pas être plombée par la recherche de subventions. D’une manière générale, nous sommes désormais dans une logique absurde d’appels à projets : « démontrez-nous un « projet » pour que l’on vous accorde une subvention ». Mais une association a des frais de fonctionnement, du quotidien qui coûte. Cette logique-là, la plonge dans la précarité et dans une activité administrative chronophage. »   

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