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Et si vous deveniez secouriste en… santé mentale ?

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Ce ne sont pas les besoins qui manquent si on en croit les chiffres communiqués par la Ville de Saint-Etienne ou encore PSSM, Premiers secours en santé mentale, France. Basée à Lyon, cette association nationale veut former, d’ici 2030, pas moins de 750 000 secouristes en santé mentale dans le pays. Dans la Loire, ils sont quatre formateurs agréés. Rencontre et explications avec l’un d’eux, Frédéric Font, par ailleurs médiateur professionnel.

La problématique serait largement sous-estimée en France selon PSSM. Photo d’illustration Unsplach Sydney Sims.

La problématique n’a bien sûr pas de pays. Mais cette réponse là vient d’Australie. Elle a plus de 20 ans : en 2000, Betty Kitchener, éducatrice ayant souffert de troubles psychiques sévères et Tony Jorm, professeur de médecine, élaborent un programme dit de Premiers secours en santé mentale (« Mental health first aid », MHFA). Objectif : proposer à tous les citoyens une formation généraliste de sensibilisation et d’assistance en santé mentale. Sûrement pas avec la prétention de soigner la pathologie, évidemment. Mais dans l’idée d’éviter des drames en identifiant et en apportant une aide par des méthodes de dialogue vis-à-vis d’une personne visiblement au plus mal, exactement comme on effectue des premiers secours physiques avec quelques gestes bien appris. Le programme est diffusé en France depuis la création en 2018 par l’Infipp, Santé Mentale France et l’Unafam de l’association à but non lucratif PSSM France.

Basée à Lyon, dotée depuis 2021 d’un conseil scientifique, soutenue financièrement par Santé publique France (donc le ministère de la Santé), la Fondation de France, les Fondation Aésio et Chantelix, PSSM France affichait, début 2023 43 6000 secouristes formés dans 13 régions et 2 territoires « ultra-marins ». Ses objectifs sont ambitieux : atteindre les 75 000 d’ici la fin de l’année, 750 000 en 2030. Pour l’association, les besoins, longtemps sous-estimés, minimisés, voire niés, n’ont jamais été aussi évidents. Avec ce chiffre avancé par l’OMS : une personne sur quatre est touchée au cours de sa vie par un trouble de santé mentale. Plutôt cohérent avec des données très locales, celles de Sainté Psycho, service municipal de Saint-Etienne créé en mars 2021. Les deux psychologues employés par la Ville à plein temps en convention avec la CHU , « pour pallier, dit-elle, les manquements de l’Etat » (manque et vacances de postes craintes en psychiatrie), ont effectué sa première année d’existence un millier de consultations…  

Comment repérer ? Comment réagir ?

Sur l’ensemble des Stéphanois qui les ont contactés, 53 % concèdent qu’ils n’auraient pas consulté s’ils n’avaient pas eu vent de ce service destiné, lui, à soigner. Pour revenir à PSSM, ses objectifs de formation de secouristes exigent aussi… des formateurs. 780 étaient accrédités au 1er janvier dont quatre dans la Loire. Parmi eux, Frédéric Font, habitant de Saint-Joseph dans le Gier, agréé depuis cet été. Cet ancien manager en logistique d’une entreprise pharmaceutique du Nord Isère s’est reconverti il y a 3 ans en tant que médiateur professionnel. « J’étais représentant du personnel et j’ai compris à quel point de nombreux conflits entre personnes dans l’entreprise ne se résolvaient pas parce que l’on ne s’écoutait pas vraiment. Je ne parle pas de laisser parler. Mais de prendre en compte réellement la perception, le point de vue de l’autre, son ressenti, ses arguments. » Il consacre donc désormais sa vie professionnelle à être un intermédiaire d’accords à l’amiable basés sur la communication non violente.  

Les techniques que nous enseignons se basent sur des éléments qui, scientifiquement, font consensus mondialement.

Frédéric Font, formateur PSSM

S’il estime que cela vaut le coup plutôt que d’aller directement au contentieux et aux aléas des Prud’hommes, le succès n’est pas forcément garanti. Et c’est après un échec qu’il a entamé en juin dernier sa formation de formateur en PSSM : « Je menais une médiation entre deux personnes qui dû être brusquement stoppée. Un des deux protagonistes lors d’une séance a vrillé de manière inattendue au point de se montrer très violent. Il est très probable que cela avait un lien avec sa consommation de cannabis qu’il m’avait confiée bien gérer depuis 25 ans, une fois le matin et une fois le soir. Les consommations d’alcool et surtout de psychotropes ont tendance à monter dans les générations actuelles. Est-ce qu’il n’avait pas pu fumer ce matin-là ? Reste que j’étais démuni. » Comment réagir face aux troubles psychiques manifestes ? Comment les repérer quand ils ne s’extériorisent pas de manière évidente ? Comment apaiser, faire redescendre quelqu’un qui met en danger ou se met en danger ?

Quelles garanties scientifiques ?

Cela peut-être une crise brusque oui mais aussi un constat sur un temps plus long, comme la dépression d’un collègue, d’un ami, d’un proche. C’est cela qu’a appris et appris à enseigner cet été Frédéric Font en se basant sur la méthodologie MHFA donc. « Un épais manuel détaille des méthodes d’identification et des réponses que l’on peut tenter d’appliquer. Il s’agit d’ écouter, faire parler sans se mettre non plus en danger. D’ailleurs, il ne faut y aller que si on est soi-même très bien dans la tête. Ces techniques se basent sur des éléments qui, scientifiquement, font consensus mondialement. Lors d’une des premières séances sur deux jours que j’ai menées, une stagiaire regrettait que l’on aborde pas la sophrologie pour aider les personnes. Je ne me permets pas de juger cette méthode mais les médecines douces ne faisant pas l’unanimité, elles ne font pas partie de ce que nous proposons. »

Venir en aide à une détresse mentale urgente, comme on le fait avec des gestes de premiers secours physique. Photo d’illustration Unsplach Jackson David.

Le souci central de PSSM est d’être le plus inattaquable possible et de ne surtout pas faire croire qu’il souhaiterait se substituer à de vrais soignants. Mais de la même façon qu’une personne qui effectue des gestes de premiers secours physiques ne se prend pas pour un médecin et ne doit pas aller au-delà de ce qu’elle a appris. « Les professionnels de santé ont accueilli avec bienveillance l’idée, assure Frédéric Font. Il y a de l’humilité dans la démarche et elle peut aider à désencombrer les services d’urgences psychiatriques, ou encore identifier un problème plus en amont et donc faciliter les soins par une prise en charge plus précoce. Quand on sait qu’il y a près de 10 000 suicides en France par an… » Pour Frédéric Font, la problématique comme, la violence routière en son temps, est encore trop sous-estimée : selon la Cnam, un tiers seulement des gens souffrant de troubles psychiques vont consulter.

Une formation sur deux jours

« Et chez les plus jeunes, énormément de cas de schizophrénie ou de troubles bipolaires sont rangés au rayon crise d’ados ou au mieux traités comme une dépression. Un autre chiffre m’a estomaqué : 27 % de la population des pays européens ont connu des troubles psychiques au cours des derniers mois ! » La démarche est conforme à la loi santé 2022 sur la prévention des risques psychosociaux après qu’Agnès Buzin, quand elle était ministre de la Santé, ait officiellement fait de la santé mentale un enjeu majeur de santé publique il y a quelques années. La formation sur deux jours telle qu’en assure Frédéric Font n’est cependant pas donnée : 250 € par personne, manuel d’une valeur de 30 € compris. Mais « ce n’est pas rédhibitoire par rapport aux formations classiques en entreprise. Et finançable par les organismes financiers qui aident les entreprises de moins de 50 salariés ». Côté collectivités et fonction territoriale, les formations agréés par PSSM ont été aussi intégrées au catalogue CNFPT. Des mairies comme celles de Nantes y ont fait largement appel.

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