Saint-Étienne
samedi 27 avril 2024
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Pour Stop Linky Loire, ce procès à Saint-Etienne va émettre un tournant

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Le collectif qui relaie dans la Loire un militantisme, voire mène ses actions en justice, contre le fameux compteur Linky d’Enedis assure qu’une décision du Tribunal judiciaire de Saint-Etienne, confirmée en appel à Lyon il y a un mois, favorable à un plaignant ligérien, fera jurisprudence. A la suite d’une conférence donnée par le Pr Fontana, chef du service Santé au travail et pathologies professionnelles du CHU stéphanois, strictement attachée à faire le point sur ce que l’on sait, à ce stade de « l’électrosensibilité », Stop Linky Loire est revenu sur la décision de la Justice.  

« La décision rendue par la Cour d’appel de Lyon est particulièrement isolée et ne reflète en rien la jurisprudence relative à l’installation des compteurs Linky », estime Enedis. Au lendemain de la conférence de presse organisée par Stop Linky & 5G Loire, If Saint-Etienne a sollicité le point de vue de l’entreprise d’Etat sur le rendu des jugements 2023 – une décision du Tribunal judiciaire de Saint-Etienne allant contre elle confirmée en Cour d’appel – à propos du cas Joseph Cascina. La filiale d’EDF, (ex ERDF) contrainte par la Justice de retirer le compteur Linky de cet habitant de Saint-André-le-Puy, met dans la balance le fait que « le cadre législatif et réglementaire de leur déploiement a été confirmé par l’immense majorité des décisions de justice, telles que celles des Cours d’appel de Paris, Versailles, Toulouse, Rennes, Aix-en-Provence, Orléans. » Pour Denis Nicolier, c’est évident : « Ils minimisent, c’est leur technique habituelle ».

Par principe de précaution et reconnaissance de syndromes réels, la Justice a fait enlever le compteur Linky d’un Forezien au printemps dernier. Photo d’illustration ©If Média/Xavier Alix

Cet ex-professeur d’informatique ligérien affiche d’ailleurs « une décision de la Cour d’appel de Bordeaux de 2020 réprouvant le caractère obligatoire de Linky ». Se disant « attaché aux libertés individuelles », Denis Nicolier se présente comme « animateur » du collectif Stop Linky 5G Loire. Un collectif, et non pas une association, relayant localement les activités du réseau Stop Linky & 5G national et qu’il a cofondé dans la Loire en 2017. En sont membres ou, a minima, sympathisants selon lui, 530 personnes. Le militantisme de Denis Nicolier se double d’une autre, très proche, au sein d’un second collectif local, « Halte au contrôle numérique » faisant d’ailleurs écho au premier. Collectif né avec l’affaire des micros ou capteurs sonores (qui visaient à assister la police municipale en se déclenchant en cas de bruit fort et inhabituel) en 2019 que la Ville de Saint-Etienne souhaitait poser dans les rues du quartier Beaubrun Tarentaize Couriot. Projet finalement abandonné à la suite des avis de la CNIL.   

Le cas Joseph Cascina

Engagé de ses propres batailles juridiques à propos du compteur d’Enedis, Stop Linky Loire a accompagné « moralement et stratégiquement » le combat mené par Joseph Cascina. Cet habitant de Saint-André-le-Puy, 59 ans, était là, ce mercredi soir, aux côtés du collectif, désigné comme une personne « EHS » (électro-hypersensible) afin de raconter son histoire. « En janvier 2020, on frappe à la porte de la maison pour nous installer un compteur Linky comme annoncé par courrier 2 mois avant, en insistant sur le fait que c’est obligatoire. Je n’étais pas très chaud avec tout ce qu’on entendait mais bon… On s’est bien posé des questions comme beaucoup de monde mais on a laissé faire. Je n’avais jamais été impliqué dans des activités s’opposant à Linky, ou ressenti quoi que ce soit par rapport à l’électrosensibilité jusque-là. Mais une fois le compteur posé, ça a été immédiat : des migraines permanentes qui, étrangement, s’atténuaient, voire disparaissaient dès que je m’éloignais de mon domicile. » Joseph Cascina assure avoir « tout essayé » avant de se résoudre à aller en Justice en septembre 2022 pour qu’Enedis remplace son compteur jusqu’à parfois douter de lui-même.    

Ces terribles maux de tête depuis l’installation, je ne les ai pas inventés !

Joseph Cascina, plaignant contre Enedis

« J’ai évidemment sollicité Enedis avant de m’adresser aux tribunaux : des heures d’explications au téléphone. En vain. Moi tout ce que je mettais en avant, c’était ces terribles maux de tête depuis l’installation : je ne les ai pas inventés ! J’en ai parlé au maire, envoyé des quantités de courriers à Enedis bien sûr mais aussi au Siel et même au préfet. » Au niveau médical, Joseph Cascina a obtenu quatre certificats en 2 ans, pensant même, à se faire déplomber les dents « au cas où. Mais ça n’a rien changé ». Un parcours commencé initialement chez un généraliste, 4 jours après le début des symptômes. Il y a ensuite eu un ORL« spécialiste des ondes » situé à Thizy (Rhône). Puis, avant de se soumettre à une IRM cérébrale qui n’a rien donné, une consultation auprès du professeur Luc Fontana, chef du service Santé au travail et pathologies professionnelles du CHU de Saint-Etienne. Présent avant la partie consacrée à l’aspect juridique de la conférence de presse de Stop Linky (partie à laquelle il n’a d’ailleurs pas assisté, quittant la salle), celui-ci reste très mesuré dans ses propos (lire ci-dessous) quant aux connaissances en l’état autour de l’électrosensibilité. Il se garde bien de décrire un lien scientifique, parce qu’il n’est pas établi, entre symptômes ressentis et compteur Linky.

Électrosensibilité : le CHU stéphanois à l’étude

En revanche, son point de vue – non sur Linky en soi – mais l’existence de l’électrosensibilité font écho aux propos de l’Anses. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail dépendante, entre autres, du ministère de la Santé estime à 5 % la proportion de la population française souffrant d’électrosensibilité. Elle a lancé en 2023 la première enquête scientifique française d’ampleur à ce sujet à laquelle d’ailleurs le CHU de Saint-Etienne participe. Le Pr Fontana, lui, ne nie pas la réalité des symptômes. Ceux des quelques cas par an venant spécifiquement le consulter au sujet plus global que le cas Linky de l’électrosensibilité dont Joseph Cascina a été. C’est là, la subtilité : le certificat qu’il a accordé à ce dernier, sur lequel s’appuie – entre autres – la décision de Justice stéphanoise puis de la Cour d’appel, indique donc la réalité du syndrome « d’une affection définie en elle-même » et « dont les causes ne sont pas scientifiquement établies »… Enedis a d’ailleurs contesté la valeur probante des certificats médicaux qui se contenteraient selon elle de rapporter les doléances et déclarations du patient.

Denis Nicolier, le Pr Fontana et Joseph Cascina à Saint-Etienne le 1″ décembre. ©If Média/Xavier Alix

Or, dit la Cour d’appel, « le syndrome évoqué par les praticiens est par définition attribué aux champs électromagnétiques de sorte que la concomitance entre l’apparition du syndrome et l’installation d’un compteur communicant, lequel génère de tels champs, constitue un élément fort en faveur d’un lien de causalité valablement retenu par les médecins en l’absence d’autres pistes pour expliquer ledit symptôme ». Extrait de l’ordonnance du tribunal judiciaire de Saint-Etienne reprenant le diagnostic du Pr Fontana : « Joseph Cascina présente des symptômes pouvant entrer dans un syndrome d’hypersensibilité électromagnétique ou intolérance environnementale idiopathique attribuées aux champs électromagnétiques ». De quoi confirmer, les conclusions précédentes et parallèles de ses confrères disant que le plaignant est « vraisemblablement touché par le syndrome d’intolérance aux champs électromagnétiques ou électrohypersensibilité ». Largement suffisant pour faire valoir une preuve de souffrance, de la réalité des symptômes ressentis (céphalées, acouphènes) aux yeux de la Justice donc faire théoriquement valoir un arrêt maladie, même si cet enjeu-là n’était pas le plus prégnant dans le cas de Joseph Cascina, par ailleurs en invalidité.

« Cela fera jurisprudence »

Réclamant, lui, inlassablement qu’on lui enlève son compteur Linky pour en remettre un ancien à la place, Joseph Cascina s’est donc résolu à aller en Justice. Celle-ci a tranché, deux fois en sa faveur. Dans son arrêt du 5 janvier, le Tribunal judiciaire de Saint-Etienne, s’appuyant sur les certificats des médecins, le fait d’avoir recherché d’autres causes possibles de ses migraines (IRM, interventions dentaires), la « persistance des symptômes », la « gêne sociale avérée », exige que le compteur soit enlevé et remplacé par un ancien. Ce qui a été effectué – avec un gros mois de retard – en avril dernier malgré l’appel d’Enedis, la décision étant exécutoire. « C’est très rare. On ne connaît qu’un autre cas équivalent à Aix-en-Provence, assure Didier Nicolier. J’ajoute aussi que c’est la première fois que je vois une juge s’intéresser à ce point à essayer d’évaluer, de comprendre la réalité des souffrances ressenties. Cela a été le cas, à nouveau à la Cour d’Appel de Lyon. » Celle-ci a en effet confirmé le jugement de Saint-Etienne le 29 novembre dernier.  

Les différentes mesures réalisées par des laboratoires indépendants ont montré que le compteur Linky ne représente aucun danger

Enedis

« Nous croyons beaucoup à la valeur de ces jugements. Ce qui change, c’est qu’il y a une reconnaissance des pathologies, un lien établi, et un principe de précaution (contesté par Enedis, Ndlr1) mis en avant. Cela fera jurisprudence. » Dans son contre argumentaire, Enedis, elle, conteste « l’existence d’un dommage imminent » en faisant valoir que « l’ensemble de la littérature scientifique et des autorités indépendantes scientifiques françaises confirme l’absence d’impact à l’exposition aux ondes émises par les compteurs Linky sur la santé humaine ». Enedis en conclut qu’il ne peut « pas être établi, avec l’évidence requise devant le juge des référés, de lien de causalité entre les symptômes invoqués et la pose du Linky ». Arguments réitérés auprès de notre rédaction à la suite de notre sollicitation : « Les différentes mesures réalisées par des laboratoires indépendants ont montré que le compteur Linky ne représente aucun danger, ni pour la santé, ni pour l’environnement. L’expertise de l’Anses, mise à jour en mai 2023, confirme un niveau d’exposition aux ondes faible et proche des autres dispositifs électriques ou électroniques domestiques. »

Un pourvoi en cassation encore possible

If Saint-Etienne a contacté un avocat stéphanois à qui nous avons fait relire l’ordonnance du TJ de Saint-Etienne puis la décision de la Cour d’appel. Il nous a confirmé leur importance ainsi que, la solidité et la pertinence de l’analyse de ces mêmes décisions par Stop Linky42… Il reste cependant une possibilité pour Enedis de partir en cassation. « Mais, a priori, ils n’ont pas vraiment intérêt à le faire, juge Didier Nicolier. En cas de confirmation du jugement de la Cour d’appel de Lyon, la jurisprudence serait alors automatique, administrative d’une certaine manière, permettant ainsi de se passer des tribunaux pour faire remplacer ces compteurs. Dans le cas de Bordeaux, et l’affirmation du caractère non obligatoire de Linky, ils avaient abandonné leur procédure en cassation avant son terme à la lecture du mémoire des plaignants. » Enedis a jusqu’au 30 janvier pour aller en cassation ou non. Joseph Cascina, lui, assure que les trois quarts des symptômes qu’il ressentait au quotidien ont immédiatement disparu après la dépose de son compteur Linky.

1 Enedis fait valoir que « le principe de précaution n’est applicable qu’aux autorités publiques dotées d’un pouvoir normatifs, législatifs ou réglementaires et elle souligne que les arrêts rendus par les cours d’appel de Grenoble et Bordeaux condamnant Enedis sur le fondement du principe de précaution demeurent isolés et concernent le contentieux spécifique de l’amiante ».

Électrosensibilité : ce que l’on sait, ce que l’on ne sait pas

Antenne-relais

Comment définir l’électrosensibilité en l’absence d’études scientifiques poussées sur le sujet ? L’Anses a toutefois officiellement reconnu début 2018 « la réalité des troubles présentés par les personnes intolérantes aux ondes électromagnétiques » (5 % de la population française). Certes, à ce stade pour des raisons scientifiquement « inexpliquées » mais tout en recommandant « leur prise en charge ». C’est bien pour essayer d’en savoir davantage que l’agence ministérielle a lancé cette année un appel aux volontaires pour une vaste étude à l’échelle du pays. Une dizaine de CHU sont impliqués (300 personnes y participent) dont celui de Saint-Etienne via son service Santé au travail et pathologies professionnelles, dirigé par le Pr Fontana. « Une trentaine de personnes sont actuellement étudiées. On a très souvent dit aux personnes se plaignant d’être électrosensibles que cela se passait dans leur tête. Ce qui ajoute à leurs souffrances physiques, celles psychologiques. D’autant qu’ils sont alors déjà dans un isolement social, professionnel, en raison de leurs stratégies d’évitement », détaille le Pr Fontana.  

« Je suis confronté à 5-6 cas par an »

Pour ce dernier, la réalité des symptômes – céphalées, fatigues, malaises, acouphènes – est bel et bien là. « Je suis confronté à 5-6 cas par an, poursuit Luc Fontana. Mais je n’ai aucune idée pour autant de l’ampleur du phénomène au sein de la population ligérienne. Et avant de faire un lien dont on ne connaît absolument pas scientifiquement – pas plus d’ailleurs que le profil type des patients (âge, sexe, profession etc.) – le mécanisme avec une électrosensibilité, à des ordinateurs, une antenne relais, un compteur, nous effectuons préalablement tous les examens possibles pour écarter d’autres causes potentielles de ces symptômes ». Rare certitude, précise le médecin : ceux-ci n’évoluent pas péjorativement avec le temps. L’efficacité des protections vestimentaires parfois utilisées ? « Pas de preuve scientifique non plus. Je n’ai pas d’opinion radicale. Si cela soulage une personne qui présente de réels symptômes, alors tant mieux. » L’objectif de l’étude de l’Anses est donc de mieux comprendre le phénomène, en commençant par connaître la population s’en plaignant.

Des normes existent mais, à l’image de la radioactivité, de la pollution atmosphérique (régulièrement durcie pour cette dernière), leur efficacité protectrice est régulièrement contestée. Pour l’air, les recommandations normatives de l’OMS sont devenues considérablement supérieures à celles actuelles européennes, pourtant au top niveau mondial de l’exigence…

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