Comment Eurotab veut relancer la machine
Assouplissant solide et, d’ici 2 ans, tablettes sans pellicule plastique: très impacté ces deux dernières années par l’inflation explosive de ses matières premières, le producteur de tablettes nettoyantes pour vaisselle et lessive Eurotab, implanté à Saint-Just-Saint-Rambert, mise sur les solutions découlant de sa R&D afin de renouer avec une rentabilité perdue en France mais pas à l’échelle du groupe.
C’est ce qu’on appelle par excellence, travailler en marque blanche. En France 7 à 8 % des tablettes pour lave-vaisselles qui s’écoulent et 12 % de celles vendues par des MDD (marques de distributeurs) de plusieurs enseignes de la grande distribution française, sortent des lignes de production du site principal d’Eurotab implanté à Saint-Just-Saint-Rambert. Il s’agit à la fois de son siège social, d’une usine et d’un lieu de stockage cumulant 10 000 m2 au sein de la ZAC des Peyrardes et où travaillent environ 180 équivalents temps plein. On produit ici du solide, rien que du solide. 85 % de l’activité de ce site est consacré à des tablettes, essentiellement pour les lave-vaisselles mais aussi destinées au lavage et au soin du linge, avec, d’ailleurs, un petit nouveau rayon assouplissant dont nous reparlerons plus loin. Les absorbeurs d’humidité représentent, eux, les 15 % restants.
Mais ce n’est pas la seule implantation du groupe Eurotab. Il faut compter, toujours à Saint-Just-Saint-Rambert, un site secondaire, celui des débuts de la société, et où travaille une dizaine de personnes uniquement dédiées à la désinfection. Enfin et surtout, outre une représentation commerciale à Montreal au Canada ainsi que des filiales de distribution en Espagne et aux Etats-Unis, une implantation très, très bien sentie depuis 2012 en Turquie qui emploie 78 personnes. Pourquoi la Turquie ? « Parce que le nombre de lave-vaisselle y est extrêmement important (90 % des ménages équipés contre 66 % en France) et que le groupe avait bien saisi ce développement à l’époque pour s’insérer sur le marché au bon moment », répond Olivier Bersihand, nouveau président d’Eurotab Opération entré en fonction mi-mars.
Un centre R&D plus que solide
Bien vu, en effet, quand on sait que l’usine turque fournit de nos jours 100 % des tablettes vaisselle MDD du pays et 90 % de celles vendues par les marques tout court ! Ou encore que c’est ce même site qui a permis au groupe de dégager des bénéfices sur les deux derniers exercices… Au total, le groupe Eurotab compte 270 salariés et un chiffre d’affaires (CA) 2022/23 à 76,5 M€ dont 50 % est tourné vers l’export, hors Turquie, dans 20 pays. De ses lignes de production françaises ou turques sortent chaque année des dizaines de millions de galets absorbeurs d’humidité et des milliards de tablettes (vaisselle, javel ou lessive) au rythme de 246 000 par heure ! Des chiffres qui lui permettent de revendiquer une place de « leader » sur ce dernier marché. En reprenant à 90 % les parts du groupe à la famille Desmaresceaux en 2019, le fonds d’investissement LBO France a ouvert le 3e chapitre côté propriétaires de cette entreprise fondée en 1957 sous l’appellation Etablissements Linossier.
Le business est alors tourné vers la production de tablettes de savon et sciure de bois pour dégraisser mains et corps des ouvriers de l’industrie locale. Mais c’est bien sous l’ère Linossier que le virage de la tablette javel sera pris en 1985 avant la spécialisation vaisselle 3 ans plus tard et, en 2006, le premier modèle éco-labellisé. En 2001, la famille Desmaresceaux avait pris les commandes, créant la dénomination « groupe Eurotab » et créant un véritable centre R&D à Saint-Just-Saint-Rambert où travaillent de nos jours une quinzaine d’ingénieurs et techniciens dirigés par Jacques Brosse, un ex de SNF, voisin géant de la chimie de l’eau. Si ses tentatives de diversification dans l’agroalimentaire auront fait long feu, la fin de la période Desmaresceaux correspond avec une hausse considérable de l’activité : de 44,2 M€ de CA en 2016 pour 4,7 M€ de bénéfices avant intérêt et impôts (Ebitda), au moment de passer la main, celui-ci était monté à 63,8 M€ pour 8,1 M€ d’Ebitda en 2019/20.
L’inflation a lessivé le groupe
Même si auparavant, en 2019, le prix des conteneurs venant de Chine – Eurotab doit importer une grande partie de ses matières premières, celles qui ne sont plus produites en France, ni même en Europe – a été multiplié par 10, ce n’est pas le Covid ayant suivi qui avait stoppé l’emballement. Au contraire, « cela avait été une période d’embellie avec un grand appel d’air sur la javel, souligne Olivier Bersihand. A Saint-Just-Saint-Rambert, nous sommes passés de trois lignes de productions 5 jours par semaine à 6 fonctionnant 7 jours par semaine ». Ce qui avait donné lieu à quelques dizaines de recrutement à l’échelle du groupe et 67,5 M€ de CA en 2020/21 pour 8,1 M€ de marges. Hélas, la suite immédiate a été beaucoup plus douloureuse. « On a pris de plein fouet l’inflation des matières premières. Là, les prix commencent enfin à se stabiliser. Mais cela a pesé très fortement sur notre rentabilité jusqu’à la fin du 1er trimestre de cette année », explique encore le président.
On a pris de plein fouet l’inflation des matières premières. Cela a pesé très fortement sur notre rentabilité jusqu’à la fin du 1er trimestre de cette année.
Olivier Bersihand, président d’Eurotab Opération
Le CA tombe à 62,3 M€ en 2021/22 avant donc de remonter fortement (aux trois quarts nets d’inflation) sur le dernier exercice, Eurotab n’ayant pas pu répercuter rapidement et au final, même pas entièrement, cette hausse sur ses propres prix. Résultat : cela fait deux années de suite que le site principal de Saint-Just-Saint-Rambert perd de l’argent, même si, dans son ensemble, le groupe dégage, lui, encore des bénéfices. Heureusement, Eurotab a plus d’une formule dans son sac pour rebondir. Les dernières innovations de sa R&D qui travaille de très près avec celle de ses clients pour élaborer des nouveaux produits, toujours plus verts (ils sont passés au crible par le comparateur d’impact carbone du cabinet agréé Evea), qui doivent lui permettre de repartir nettement de l’avant.
Adieu film issu de la pétrochimie
A commencer par cette nouvelle génération d’assouplissants de linge commercialisée depuis quelques mois et qui se passe d’eau puisqu’elle prend évidemment une forme solide. Des pastilles produites par une des lignes de production transformée du site de Saint-Just-Saint-Rambert. Autre innovation, carrément de « rupture » celle-là, confie Jacques Brosse qui n’en est pas à son premier brevet ici ou ailleurs : le lancement de tablettes dépouillées de leur film de protection plastique. La technologie est au point. Pas encore la production dont le lancement a déjà obtenu l’aide de la Région Aura qui a attribué 181 000 € à cet investissement via son « pack relocalisation ». Un dispositif de soutien à l’investissement industriel qui doit correspondre à des recrutements même s’il n’y a pas toujours, malgré l’appellation, une relocalisation d’emplois partis à l’étranger. C’est d’ailleurs la venue le 20 juillet du député LR ligérien mais, ici, en tant que conseiller régional, Dino Cinieri qui a ouvert l’usine à une récente visite presse dont nous nous faisons un peu plus que l’écho.
Plutôt que d’opter pour une solution comme celle développée à partir de la caséine de lait par Lactips avec qui la société était et reste en contact, Eurotab a en effet mis au point une protection anti-érosion invisible, imperceptible au toucher, 100 % biosourcée car constituée de déchets végétaux agglomérés. De quoi sortir ainsi définitivement « du film hydrosoluble d’origine pétrochimique » même si celui-ci était déjà en grande partie biodégradable. A l’heure de la guerre des prix dans la grande distribution et d’une prise de conscience environnementale certes relative mais tout de même toujours plus prégnante chez les consommateurs, l’argument séduit déjà les clients du groupe et devrait le faire durablement. La solution d’Eurotab devrait être sur le marché en 2025, les investissements que la solution réclame ayant été décalés par rapport aux plans initiaux. La progression du chiffre prévu en 2023/24 à 80 M€ (+ 4,6 %) devrait aider à les concrétiser.