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Tout le monde s’arrache les nems de son enfance, même Bocuse

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La méthode restera artisanale. Mais avec une demande et des ventes qui explosent aussi bien auprès de la Grande distribution, que les traiteurs jusqu’à signer avec Maisons Bocuse pour des versions haut de gamme, les Nems de mon enfance, fondé en 2018 par Sek Chhan devait passer la vitesse supérieure. Dans les semaines qui viennent, la petite entreprise agroalimentaire va quitter son atelier-boutique de Sorbiers pour des locaux plus adaptés à La Talaudière.

Sek Chhan devant ses nouveaux locaux. ©If Média/Xavier Alix

« Maman, quand je serai grand, tes nems, je les vendrai dans toute la France. » En plus de formuler des prédictions pertinentes, enfant, Sek Chhan a passé un temps fou à éplucher carottes et oignons. Il assistait alors sa mère, souvent les week-ends, dans la réalisation de recettes familiales. Ce n’était alors pas vraiment un business. « Nous sommes une famille de réfugiés cambodgiens installés à Sainte-Sigolène, en Haute-Loire. Il y avait beaucoup d’autres communautés récemment immigrées et du coup beaucoup d’échanges culturels entre nous. » Et quoi de mieux que d’apprendre à se connaître autour des plats de chez soi ? L’histoire des Chhan appartient à celle des dizaines de milliers de Cambodgiens venus en France après avoir subi et fui les horreurs du régime des kmhers rouges. Cette famille d’agriculteurs est parvenue à s’échapper via la Thaïlande en y laissant la moitié de ses membres, dans des conditions que l’entrepreneur ne préfère pas décrire…

Lui est né là-bas, dans un camp de réfugiés. C’est encore un bébé quand, grâce à un oncle déjà réfugié sur place depuis plusieurs années, il arrive avec sa mère et sa grand-mère à Sainte-Sigolène. « Évidemment, elles ont été confrontées à un sacré choc culturel et notamment sur la nourriture : il faut imaginer ce que la vue d’un simple jambon/beurre pouvait leur sembler étrange ! Comme les saveurs de leur pays leur manquaient, elles ont donc commencé à fabriquer des nems et des samoussas cambodgiens mais en utilisant des produits locaux français. Ce n’était pas évident mais ça a très bien fonctionné. Mais ma mère n’a jamais eu le courage d’en faire une vraie activité. » Alors quand en 2018, Sek Chhan concepteur de réseaux téléphoniques pour Free Mobile constate, avec sa femme, leur ras-le-bol de leur vie parisienne, il décide de franchir le pas, sûr du savoir-faire familial. Mais aussi d’une popularité de la cuisine asiatique qui a fortement crû en France depuis les années 1990.

« Personne n’y croyait »

Cette aventure, il va la lancer à Sorbiers dans la petite zone commerciale de l’avenue Valjoly, juste après le parc Fraisse. Une aventure, une vraie : « Personne n’y croyait, on me prenait pour un fou. C’était un sacré défi et on a pris de gros risques financiers personnels pour se lancer sur ce créneau. Il y a plein de bons cuisiniers de nems artisanales en France, bien sûr, mais ça reste très souvent cantonné dans les restaurants. Après, c’est tout de suite de l’industriel. » Se positionner entre les deux – faire de l’artisanal dans l’objectif d’écouler de gros volumes dépassant largement la vente directe –, c’est beaucoup plus rare, voire inexistant. Au début, « on vendait par à-coups, 15 nems ici, 30 là, en se demandant ce qu’on avait fait ! Il y avait une vraie négativité qui s’acharnait sur le projet au départ. J’ai passé un temps fou avec mon bâton de pèlerin à démarcher la grande distribution, en vain. Et puis un Super U a dit oui, puis un deuxième puis un troisième. Ensuite un Leclerc et aussi un Inter qui a même fini par nous rattacher à sa central tant ça marchait. »

Au début, on vendait par à-coups, 15 nems ici, 30 là, en se demandant ce qu’on avait fait ! Il y avait une vraie négativité qui s’acharnait sur le projet au départ.

Sek Chhan

Parallèlement, le bouche-à-oreille prend aussi de l’ampleur du côté des charcutiers traiteurs pour qui Les Nems de mon enfance développe une gamme un ton au-dessus en utilisant des produits plus nobles, comme du poulet fermier. On les retrouve, par exemple, dans les bien connus établissements distincts des frères Bayle à Saint-Etienne et Grand-Croix. En plus de son propre point de vente direct annexe aux ateliers à Sorbiers, les Nems de mon enfance collectionne de nos jours une centaine de points de vente entre charcutiers traiteurs, bars à tapas et supermarchés dans une large zone du Centre est de la France dépassant la région Aura. « Désormais, on nous sollicite directement, on nous appelle de partout ! » Le Covid aurait pu annihiler ce bel élan. Ce n’était d’ailleurs vraiment, vraiment pas loin, confie Sek Chhan qui avait alors repris le bâton de pèlerin, s’épuisant 7 jours sur 7 avec le repli temporaire de la grande distribution, à livrer aux particuliers pour sauver son entreprise. Mais dès le premier déconfinement, les affaires repartent. Et de plus belle.       

De l’export en perspective

Certains jours de la semaine, plus de 5 000 pièces sont vendues. En juillet dernier, la réputation de l’entreprise est venue jusqu’aux oreilles de Maisons Bocuse avec qui elle a signé un contrat autour d’une conception plus haut de gamme encore que l’on peut retrouver dans les brasseries du groupe. Les Nems de mon enfance emploie désormais 14 personnes pour un chiffre d’affaires de 600 000 € lors du dernier exercice. Afin d’améliorer les conditions de travail (en flux tendus pour conserver la fraîcheur) et la capacité de production, la variété de produits aussi – actuellement 70 % de nems, 30 % de samoussas pour 11 références – sur des plats préparés, comme du riz cantonais par exemple ou encore assumer de nombreuses perspectives de développement – export avec des sollicitations venues d’Allemagne, du Benelux ; gamme hallal pour laquelle l’agrément en demande reste à accorder -, il était grand temps de changer de locaux.

Les 85 m2 devenus trop étroits de Sorbiers seront bientôt un souvenir. D’ici quelques semaines, l’entreprise s’installera non loin, à La Talaudière, rue Gros Chêne à la Zone Molina. Un 700 m2 bien mieux calibré pour le statut et les ambitions de l’entreprise en cours de finition sur un terrain obtenu avec l’assistance des services économiques de Saint-Etienne Métropole après avoir postulé à la très convoitée zone de Pierre-Loti. L’investissement s’élève à 1,5 M€ dont 355 000 € dans l’outil de production où là, le soutien public est venu de la Région pour un total de 52 000 € au titre de son dispositif d’aide à l’investissement. Objectif désormais : atteindre le million d’euros de CA en 2024 puis 4 à 6 M€ en 2026. Dans 3 ans encore, Sek Chhan espère avoir atteint les 30 collaborateurs et si c’est aux services de l’Etat (la DGCCRF) de donner le feu vert sur la capacité du site, les 360 t de produits par an. C’est tout ce qu’on lui souhaite.

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