Saint-Étienne
dimanche 28 avril 2024
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Le Tribunal Judiciaire de Saint-Etienne en quête de « reconnaissance »

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Le Tribunal judiciaire de Saint-Etienne a effectué son audience solennelle de rentrée 2024 vendredi dernier. Cérémonie qui ouvre symboliquement l’année juridique et dresse le bilan chiffré de l’année écoulée. Il permet aussi à son président ainsi qu’au Procureur de la République d’exprimer au-delà de la reconnaissance pour le travail des uns et des autres, plus d’un grief restant à reconnaître.   

Vendredi dernier au TJ de Saint-Etienne. ©If Média/Xavier Alix

En 2024, personne n’échappe à la communication. Au besoin, et c’est lié, de reconnaissance non plus, comme l’a souligné en fil rouge de son discours David Charmatz, procureur de la République de Saint-Etienne. L’audience solennelle de rentrée 2024 a été l’occasion de présenter à l’assemblée présente un nouveau logo spécifique à la Juridiction, bien reconnaissable pour Saint-Etienne avec la mise en évidence de l’emblématique chevalement du Puits Couriot sur une base bleu, blanc, rouge. Le choix – il y avait quatre possibilités – a été soumis à un vote démocratique interne. Il a surpris David Charmatz : « Nous avons fait le choix de supprimer la référence au Vert. Cela ne doit pas être lu comme une préfiguration des résultats futurs de l’ASSE, ni bien entendu, comme l’anticipation douloureuse de la disparition de la maison Casino à l’origine de cette couleur. »

Mais, poursuit-il, par ce choix, massif dans les votes, « notre communauté de travail a clairement exprimé la volonté de ne pas être ramenée (au) passé justement et nous avons donc délibérément, ou inconsciemment, fait le choix de nous projeter dans la vision d’une justice moderne et républicaine : je crois sincèrement que cela correspond à notre état d’esprit ». Propos qui font écho à ceux du président François-Xavier Manteaux à qui revenait d’ouvrir cette traditionnelle cérémonie « coup d’envoi » de l’année juridique : « Gardons-nous de céder au pessimisme et au repli sur nous même dans le contexte de tensions dans plusieurs parties du monde, avec notamment la guerre installée depuis de trop longs mois sur le continent européen et désormais en Palestine. Que cette situation soit au contraire source de motivation pour nos actions tendant à améliorer la société dans laquelle nous vivons et à pacifier les rapports humains en gardant à l’esprit que le droit est un élément de prévention des conflits. »

La mobilisation du greffe a marqué 2023

Cependant, pour que la modernité s’exerce, au-delà de tout débat intellectuel, encore faut-il en avoir les moyens humains et matériels. Les greffiers en savent quelque chose. La mobilisation de la profession ayant marqué, en 2023, « notre juridiction, comme d’autres mais peut-être ici plus qu’ailleurs », estime David Charmatz tout en faisant à part à eux comme aux autres de sa reconnaissance pour le travail accompli. « Le facteur déclencheur de ce mouvement, outre les conditions de travail, la surcharge d’activité et les logiciels métiers défaillants, a été la réforme indiciaire du corps des greffiers, rappelle Xavier-François Manteaux. Il faut reconnaître que cette direction de notre ministère a (…) laissé les professions de justice à l’écart des modifications indiciaires favorables dont étaient gratifiés les autres corps de la fonction publique. La grille de rémunération des fonctionnaires de la catégorie B a ainsi été améliorée, à l’exception notable de celle des greffiers. »

Le nouveau logo du Tribunal Judiciaire de Saint-Etienne

Une amélioration de carrière, dont les modalités pratiques d’application ne sont cependant pas toutes encore connues à ce jour, a cependant conclu le président. Si depuis peu, les choses vont – certes trop lentement et avec des pièces essentielles incompréhensiblement manquantes – plutôt dans le bon sens pour la Justice, Cosette budgétaire des pouvoirs publics français, côté effectifs, ce n’est toujours pas ça. Avec ce différentiel aussi tenace qu’affectant entre théorie et réalité des tableaux en raison de congés maladie, maternité (paternité ?) non remplacés ou de postes en réalité vacants. David Charmatz à ce sujet pense « tout particulièrement » à ses collègues du parquet qui ont été « en fort sous-effectif durant le premier semestre 2023 ». Autre exemple donné par François-Xavier Manteaux : « Le service de l’application des peines a connu une année 2023 difficile, avec un sous-effectif de magistrat et de greffiers, lié à des vacances de poste et des congés de maladie, dans un contexte de sur activité, générateur de tensions. »

La reconnaissance d’un mieux… insuffisant

Et si la situation est « aujourd’hui apaisée et il est nécessaire que les quatrièmes postes de juge d’application des peines et de greffier, soient pourvus au mois de septembre prochain. L’un des deux postes de magistrat du pôle social se trouvant vacant depuis le 1er janvier ». Le tribunal judiciaire de Saint-Etienne qui était un des rares du groupe de juridictions auquel il appartient, à ne bénéficier que d’un seul poste de JLD (Juge des libertés et de la détention), a vu la création à l’été 2022 d’un second poste de vice-président en charge du contentieux de la liberté et de la détention. Ce poste est enfin pourvu depuis le 1er janvier avec la promotion aux fonctions de vice-présidente en charge des fonctions de juge des libertés et de la détention, de Fabienne Cognat-Bourré, précédemment juge au pôle social où… elle n’est pas remplacée, la poussant à une double activité partielle jusqu’à cet été.

La situation est donc moins défavorable que l’année dernière (…) mais force est de constater que notre ministère n’arrive toujours pas à pourvoir l’ensemble des postes localisés.

François-Xavier Manteaux, président du Tribunal judiciaire de Saint-Etienne 

D’où ce bilan plus global niveau ressources humaines : « En ce début 2024, trois postes de juges du siège sont vacants, dont l’un à la suite du départ en détachement dans les tribunaux administratifs, de Mme Anne Rogniaux, qui, pendant près de 5 ans, a fait bénéficier la juridiction de ses grandes qualités de magistrate civiliste et qui a tenu avec efficacité le service du juge de l’exécution. (…) A ces trois postes, s’ajoutent un congé de maternité, un congé paternité et un congé de maladie. La situation est donc moins défavorable que l’année dernière à la même époque (9 ETP manquant alors, Ndlr), mais force est de constater que notre ministère n’arrive toujours pas à pourvoir l’ensemble des postes localisés. Dans ces conditions, l’engagement de créer 1 500 postes de magistrats entre 2023 et 2027 va prendre un certain temps avant que les renforts promis soient opérationnels ».

De la reconnaissance du justiciable

Le greffe, encore, a lui aussi vu « ses effectifs se dégrader au cours de l’année 2023, puisqu’à ce jour il manque un directeur des services de greffe, cinq greffiers, quatre adjoints administratifs et deux adjoints techniques, chiffres auxquels il y a lieu d’ajouter cinq arrêts maladie et trois temps partiels thérapeutiques ». Dans ce contexte, la nomination de Bernard Valézy, ex-commissaire de police, originaire de la Loire, comme magistrat à titre temporaire n’est sûrement pas du luxe. Il a été présenté par le président vendredi après avoir été installé dans ses fonctions le 9 janvier. Le magistrat à titre temporaire est une personne issue de la société civile exerçant temporairement des fonctions judiciaires, au siège en matière civile ou pénale. Son apport a d’avance obtenu une « reconnaissance » pour reprendre le fil rouge du discours de David Charmatz.

Les problèmes d’effectifs persistent malgré des améliorations. ©If Média/Xavier Alix

Ce dernier évoquant aussi sa reconnaissance pour Olivier Bost qui vient de transmettre le bâtonnat à François Paquet-Cauet ou encore « l’attention portée aux justiciables dont nous évaluerons d’ailleurs le ressenti et les attentes vis à vis de l’accueil grâce à un partenariat avec l’université », souligne David Charmatz. Depuis novembre 2023 d’ailleurs, des étudiants de master 2 ont une action pro active en direction des victimes de faits orientés en CRPC, qu’ils appellent 10 jours avant l’audience, pour leur faire part des possibilités de se constituer partie civile et de demander à être indemnisés de leur préjudice, avec l’aide du service d’aide aux victimes de la Sauvegarde ou du Barreau. « Nous ferons le bilan provisoire de cette action fin janvier, avec votre professeur, Mme Zerouki que je salue, mais nul doute qu’elle porte ses fruits avec de l’ordre de 50 % de constitution sur les personnes contactées, mais plus encore car l’indemnisation n’est pas tout avec très certainement le sentiment, chez tous, à 100 % cette fois, d’avoir été pris en compte par la justice et de n’avoir pas été oubliés. » 

La théorie du ruissèlement

Dans la droite ligne de cette expérimentation, « sachez que nous avons demandé à recruter un juriste assistant du magistrat dédié aux victimes, dans le cadre de la projection de moyens humains liés à la loi de programmation 2023 2027 pour la justice. Il s’agit de la seule juridiction du ressort de la Cour d’appel de Lyon à avoir exprimé ce besoin », précisait David Charmatz. Gageons qu’il soit reconnu. Tout comme la présentation par le Procureur auprès de la Première ministre à Matignon de l’action spécifique menée à Saint-Etienne en direction des auteurs de « VIF », violences intra-familiales. « Ce fut là pour moi l’occasion de valoriser le travail de l’ensemble de la chaîne pénale, des enquêteurs aux juges, y compris les DPR et le SPIP, mais aussi de nos partenaires : La Sauvegarde, SOS Violences Conjugales, Renaître sans qui rien ne serait possible. »

Parallèlement, et « malgré notre engagement reconnu, on nous impose la création d’un pôle dédié aux VIF au sein du tribunal, car c’est une déclinaison nationale qui est voulue dans chaque TJ. Nous le ferons donc, avec notre nouveau chargé de mission VIF, M. Romain Dabonot dont je salue l’arrivée, même si nous n’avons pas attendu la création de ces pôles pour toujours chercher à améliorer notre action. » En ce sens, et du moins pour ce qui concerne le traitement des cas individuels par la Justice, le procureur croit à la « théorie du ruissèlement » : « Lorsque 350 auteurs de Violences conjugales, pour beaucoup de faible gravité, participent chaque année à un stage de prévention des violences au sien du couple : ils en parlent et ils sensibilisent leur entourage et ce sont donc bien plus de 350 personnes qui sont amenées à s’interroger sur leur couple et leur propre attitude face au risque de passage à l’acte violent»

Une activité en hausse

L’année 2023 a été le théâtre de violences urbaines dont l’intensité a été particulièrement marquée à Saint-Etienne, a rappelé le président au début de son discours François-Xavier Manteaux.

« Les rues de la ville étant la nuit, malgré l’intervention des forces de l’ordre, le domaine des émeutiers et pillards contrevenant aux valeurs de la République. Les quelques individus interpellés ont été jugés lors d’audiences de comparutions immédiates supplémentaires au cours desquelles une réponse ferme, mais juste, a été apportée. Je souhaite remercier les greffiers et magistrats pour leur mobilisation ».  

Les chiffres du siège

  • En matière civile au sens large, entre 2021 et 2023, le nombre d’affaires nouvelles est passé de 8 568 à 10 800, soit + 26 %. Dans le même temps le nombre d’affaires terminées (9 496) retrouve à peu de choses près le niveau de l’année 2021, mais est en croissance de 11 % par rapport à 2022. Le nombre d’affaires en cours (8 091) est en hausse de près de 13 %
  • Par rapport à l’année 2022, le nombre de décisions rendues en contentieux général pour les affaires d’un montant supérieur à 10 000 € a augmenté de 25 %, celui des affaires d’un montant inférieur à 10 000 € a augmenté de 13 %, celui des référés de 7 %, celui des ordonnances sur requête de 10 %, celui des intérêts civils de 36 %, celui des baux d’habitation au fond de 33 %, celui des baux d’habitation en référé de 23 %, et celui du contentieux des crédits à la consommation ainsi que du surendettement de 19 %, « ces chiffres étant la traduction de l’importance du travail accompli par l’ensemble des greffiers et magistrats des chambres civiles, dans un contexte de ressources humaines pourtant dégradé », commente le président.

Il poursuit : « Globalement, le taux de couverture est inférieur à 100 % pour la deuxième année consécutive, ce qui signifie que la juridiction constitue du stock, car l’augmentation des affaires nouvelles est pour de nombreux contentieux supérieur à celui des affaires jugées. L’augmentation conséquente de la productivité ne compense donc pas les entrées en nombre toujours croissant et seule l’affectation de magistrats et greffiers supplémentaires permettra de traiter, dans des délais raisonnables et de près manière qualitative, cette demande de justice des ligériens. »

  • Les affaires soumises au service des affaires familiales ne sont qu’en légère augmentation (2 254 contre 2 216 en 2022) cette année, « avec une durée de traitement des affaires toujours trop élevée pour le justiciable, mais cependant en diminution régulière depuis 2020, traduisant les efforts ».
  • Le pôle social connaît une forte augmentation des saisines en 2023, à hauteur de 41 %, qui trouve son explication dans le déstockage par l’Urssaf de contraintes qui étaient en attente de traitement et qui ont donné lieu à des oppositions de la part des débiteurs. Le pôle social a jugé encore plus d’affaires que les années précédentes, « à moyens constants », et parvient à stabiliser le stock, malgré la fulgurance de l’augmentation des affaires nouvelles, dont le chiffre devrait se maintenir à un niveau élevé en 2024, l’opération de déstockage de l’Urssaf devant se poursuivre.

Le volume d’affaires en cours au pôle social – constitué de la reprise des affaires en cours dans les tribunaux des affaires de sécurité sociale au 1er janvier 2020, a pu être réduit d’environ 600 unités en 4 ans. « Toutefois, ces bons résultats me paraissent d’ores et déjà nepouvoir être maintenus en 2024, l’un des deux postes de magistrat du pôle social se trouvant vacant depuis le 1er janvier ».

Le service du juge du contentieux de la protection est compétent notamment pour la protection des majeurs. L’augmentation importante des dossiers de tutelle et curatelle constatée en 2022 était le fait principalement d’une correction des éléments statistiques issus de l’applicatif métier TUTIMAJ, « dont l’absence de fiabilité est connue du ministère de la justice ». En 2023, l’activité en matière de protection des majeurs se maintient à un niveau élevé et absorbe une part importante du temps de travail des magistrats et greffiers en charge du pôle JCP de Saint-Etienne et du tribunal de proximité de Montbrison.

  • Le niveau des demandes d’aide juridictionnelle est toujours soutenu (6 226, + 1 %), traduisant la situation financière délicate dans laquelle se trouvent nombre de justiciables de la juridiction stéphanoise.

Le nombre des requêtes en assistance éducative dont les juges des enfants ont été saisis, est en retrait pour la seconde année consécutive. « Cette diminution ne signifie pas nécessairement que la situation des familles s’est améliorée dans le ressort, mais trouve plutôt son explication d’une part dans une appréciation plus exigeante par le parquet du critère de danger et d’autre part dans une contractualisation plus importante entre les services de l’aide sociale à l’enfance du Département et les familles, dans le cadre des mesures administratives d’action éducative en milieu ouvert et de placement ». Les éléments statistiques du service de l’application des peines font apparaitre une augmentation très importante du nombre de décisions rendues.

  • L’activité des quatre cabinets d’instruction s’est accrue avec 150 saisines au cours de l’année, dans les affaires criminelles et les affaires correctionnelles les plus complexes, dont certaines nécessitant une co-saisine.
  • Le nombre d’affaires jugées par le tribunal correctionnel est en légère augmentation pour atteindre 4843, avec un accroissement de 35 % des CRPC homologuées, s’expliquant principalement par une réduction du taux d’échec lié à l’absence du prévenu à l’audience, la juridiction ayant mis en œuvre un dispositif favorisant la présence de celui-ci par un message numérique quelques jours avant la date d’audience. A noter également une augmentation de 25 % des compositions pénales réussies et un maintien à un niveau élevé des ordonnances pénales.

Le nombre de jugements correctionnels poursuit sa baisse, au premier chef du fait d’une complexité accrue des dossiers, les plus simples étant désormais orientés vers les CRPC, les compositions pénales et les ordonnances pénales. De même, la politique de traitement des dossiers de violences intra familiales, qui il y a quelques années, ne bénéficiaient pas de la même attention de la part du ministère public et des services d’enquête, conduit à un afflux de dossiers

Enfin, explique François-Xavier manteaux, « de trop nombreux renvois sont sollicités et obtenus. Certains incontournables (…). D’autres qui ne devraient pas avoir cours, et je veux évoquer ici, le refus d’extraction non pas opposé par le prévenu, mais par l’ARPEJ, ce refus étant pudiquement appelé “impossibilité de faire” ». Ainsi en 2023, 23 renvois pour ce motif ont été ordonnés lors des audiences correctionnelles collégiales et 54 lors des audiences correctionnelles à juge unique, conduisant ainsi à 77 renvois de dossiers en état d’être jugés, et ce en raison de la carence de l’autorité de régulation et de programmation des extractions judiciaires, service de l’administration pénitentiaire.

  • Côté Parquet, notons que le nombre de plaintes et PV reçus est passé de 39 714 à 48 681 en 2023, soit 23 % d’augmentation. « Seul l’apport de très bons vacataires et l’excellente productivité du télétravail au service du Bureau d’Ordre a permis de faire face à cette croissance exceptionnelle, pour partie liée au déstockage de procédures en police nationale. Ce déstockage est le fruit des apurements réalisés par les magistrats du parquet, la mobilisation de vos personnels et l’apport de task forces à leurs côtés monsieur le directeur », note David Charmatz.
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