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samedi 27 avril 2024
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Casino : « Une enquête parlementaire ? J’en ai parlé au Président de la République »

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Le député Renaissance stéphanois Quentin Bataillon n’a en effet pas attendu l’interpellation de Xavier Kemlin, un des héritiers de la famille Guichard. Comme la sénatrice PC Cécile Cukierman et le député Modem du Gier Emmanuel Mandon, eux aussi sollicités par If à ce sujet, il insiste cependant sur la priorité du moment : l’accompagnement social des salariés de Casino, limiter les dégâts. Mais un diagnostic du contexte réglementaire qui a permis ou n’a pas empêché cette dérive financière, « sous la forme d’une enquête parlementaire ou une autre, oui, à terme, ça se fera ».

Xavier Kemlin, un des descendants de Geoffroy Guichard, à gauche, a réclamé aux parlementaires ligériens l’ouverture d’une enquête parlementaire. ©If Média/Xavier Alix

Flanqué de son drapeau tricolore, surmonté d’une pancarte affichant une photo de son arrière-grand-père, le fondateur de Casino Geoffroy Guichard, Xavier Kemlin se fait solennellement entendre ce matin-là, devant un parterre d’élus. Nous sommes dimanche dernier, à quelques pas du siège de Châteaucreux et le cortège de la manifestation intersyndicale est sur le point de partir. Des élus sont alors en première ligne, tenant la banderole, juste avant de finalement être placés plus loin derrière au moment du départ. « Mesdames et messieurs les élus, je vous rappelle vous avoir fait parvenir une demande d’enquête parlementaire. » Une enquête parlementaire certes mais sur qui ? Ou, plutôt, sur quoi ? Au sein d’une commission d’enquête parlementaire, « les élus ne rendent pas la justice, mais assurent une fonction de contrôle consistant essentiellement à demander des comptes et à produire un rapport. La terminologie ne doit pas tromper : l’enquête parlementaire n’a rien à voir avec l’enquête judiciaire », soulignait Philippe Blachère en octobre dernier sur le site d’informations public gouvernemental vie-publique.fr .

Le professeur à l’université Jean-Moulin Lyon III, directeur du Centre de droit constitutionnel de Lyon y détaille et vulgarise l’évolution de cette fonction de « contrôle » s’ajoutant au pouvoir législatif du Parlement et donnant lieu à un rapport avec ses recommandations. Certes, en cas d’ouverture d’une commission, une personnalité comme Jean-Charles Naouri pourrait très bien y être convoquée avec une présence obligatoire. Et des sanctions pénales sont prévues en cas de subornation de témoins ou de faux témoignage. Rappelons qu’une démocratie comme la France doit, est censée préféreront certains, s’exercer dans le cadre d’une stricte séparation des pouvoirs : ce ne sont pas aux parlementaires de mettre qui que ce soit devant un tribunal pour telle ou telle raison. Pas plus que de décider à l’issue d’un procès qui est coupable ou non. Révélée par nos confrères du Monde lundi, la plainte de six héritiers Guichard (rejoignant celles déposées par Xavier Kemlin en 2018 et 2019) contre X et Jean-Charles Naouri, qu’ils soupçonnent d’abus de biens sociaux ne serait évidemment pas au menu des députés et sénateurs de tous bords composant une commission.

« Les mécanismes de spéculation financière »

Davantage identifier et comprendre comment le fonctionnement des règles et garde-fous publics ont pu être défaillants et/ou contournés, sinon manipulés. C’est sur cet angle que travaille une enquête parlementaire. Qu’il s’agisse de la gestion du service public (comme pour l’affaire d’Outreau en 2005), d’une entreprise publique ou encore beaucoup plus largement de « questions de société », vie-publique.fr citant en exemple dans cette catégorie les « mécanismes de spéculation financière ». Bien que dépourvues de pouvoir judiciaire, à l’image de la Cour des comptes et ses chambres régionales, les commissions ont ainsi mis « en lumière les scandales et permettront à la justice de poursuivre et de condamner une vingtaine de hautes personnalités dans les années 1920-30 », relève Philippe Blachère. Deux décennies marquées par une succession d’« affaires », pour les plus connues celle de Stavisky ou l’émeute provoquée par l’extrême droite antiparlementaire en février 1934 . Limitée par De Gaulle et sa Ve République, la commission parlementaire a repris du poil de la bête dans les années 2000, remusclée même par la « constitutionnalisation » de 2008.

Oui, ça peut rentrer dans les clous. Et oui, nous en avons déjà discuté et continuons à discuter de cela entre nous mais attention…

Emmanuel Mandon, député Modem de la 3e circonscription 

Depuis, l’article 141 du règlement de l’Assemblée nationale énonce que « chaque président de groupe d’opposition ou de groupe minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, […] la création d’une commission d’enquête […]. » Un « droit de tirage » qui tend à être systématiquement utilisé, l’énorme buzz médiatique allant avec ne gâchant sans doute rien aux motivations. Le cas Casino ou plutôt comment cette opaque fuite en avant financière a pu, année après année, amener la chute du géant stéphanois s’ajoutera-t-elle à une liste toujours plus dense ? De l’affaire Benalla, à la perte de l’indépendance énergétique de la France en passant par la gestion du Covid, de l’hôpital public, le diagnostic du « modèle » Uber en France, l’influence des réseaux étrangers sur les décideurs publics… Si, selon nos informations, Xavier Kemlin n’a pas caractérisé sa demande autrement qu’en désignant Naouri comme responsable de la dilapidation de son héritage familial (ajoutons « collectif » d’un point de vue ligérien) qu’est Casino, « oui, ça peut rentrer dans les clous. Eh oui, nous en avons déjà discuté et continuons à discuter de cela entre nous », confie à If Emmanuel Mandon, député Renaissance de la 3e circonscription de la Loire.

Pas la priorité du moment

Mais ajoute-t-il, « attention, encore une fois de ne pas confondre notre système avec celui des Etats-Unis. Tout dépend de la formulation et de l’objet. Il y a de quoi interroger les montages financiers ayant permis une telle pseudo stratégie de développement, une telle fuite en avant, la manière dont la complexité du système peut amener à ça et s’il ne faut pas le réinterroger en conséquence. L’Etat est là pour donner des garanties de régulation des marchés financiers, percevoir l’impôt. Y a-t-il une zone grise, des failles dans nos garde-fous qui ont permis une « ingéniosité » malsaine aux conséquences dramatiques ? On n’en est pas encore là toutefois ». Sollicitée par If Saint-Etienne, la sénatrice PC Cécile Cukierman rappelle qu’une enquête parlementaire n’est évidemment pas la priorité du moment. « Ce sont les emplois, l’urgence sociale, le devenir des gens dont nous devons nous charger dans l’immédiat et pour les mois à venir vis-à-vis de cet affreux coup de massue. De toute façon, les droits de tirage sont déjà faits. Il faudra attendre octobre prochain. »

Il n’y a pas besoin d’une réunion de personnalités politiques pour constater que le capitalisme, ce n’est pas bien et aboutit à ça.

Cécile Cukierman, sénatrice PC de la Loire

Au-delà d’une question de « timing », l’élue ligérienne se montre politiquement sceptique : « Une enquête sur quoi ? Tout est hélas bien connu et déjà vu ici. Il n’y a pas besoin d’une réunion de personnalités politiques pour constater que le capitalisme, ce n’est pas bien et aboutit à ça. » En première ligne côté majorité présidentielle locale quant au cataclysme Casino, le député stéphanois Quentin Bataillon n’a logiquement pas le même avis. Même si, lui aussi, souligne que ce n’est pas le sujet du moment, la gestion de la situation économico-sociale, la sauvegarde d’un maximum d’emplois primant avant tout. Cependant, « j’en ai parlé au président de la République Emmanuel Macron il y a déjà plus de deux semaines, confie-t-il à If Saint-Etienne. A terme, sous la forme d’une commission d’enquête parlementaire ou sous une autre, il sera nécessaire de s’interroger pour comprendre comment on en est arrivé là et comment on ne doit plus en arriver là. Il y a un intérêt fort ».

« Questions légitimes »

Comment Jean-Charles Naouri a pu racheter autant, en s’endettant autant, sans que l’autorité de la concurrence, celle des marchés financiers, l’Etat, les banques elles-mêmes ne disent pas « stop » ?

Quentin Bataillon, député Renaissance de Saint-Etienne

Les « questions légitimes » ne manquent pas aux yeux de Quentin Bataillon : « Comment Jean-Charles Naouri a pu racheter autant, en s’endettant autant, sans que l’autorité de la concurrence, celle des marchés financiers, l’Etat, les banques elles-mêmes ne disent pas « stop » ? ». En conséquence, des « manipulations des règles », sinon des « failles » du système à la lumière de ce qui arrive au groupe Casino qui semble, hélas, se profiler en « cas d’école », tel que le qualifie le député, pourraient potentiellement être mises en évidence par le biais d’une commission parlementaire transpartisane. Le député connaît bien le fonctionnement de cette dernière. Il en préside une actuellement avec une enquête portant sur l’attribution des chaînes TNT à l’investigation de LFI qui a fait le choix du poste de rapporteur. Une commission d’enquête comprend des parlementaires de tous les groupes, dans la limite de 30 députés et de 21 sénateurs, et dure six mois au plus.

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