Saint-Étienne
samedi 27 avril 2024
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La com’ de la Ville de Saint-Etienne s’essaie à l’intelligence artificielle de MidJourney

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Et c’est probablement la première collectivité de France à l’avoir fait. Non pas à coup du fameux ChatGPT, fer de lance de la médiatisation montante de la pseudo intelligence artificielle. Mais via MidJourney, générateur d’images tout aussi décrié, pour réaliser l’illustration d’une campagne maison d’affichage et sur les réseaux vantant dans la deuxième quinzaine de mai la nature en ville à Saint-Etienne. Un test pour appréhender la révolution à venir, assure le service communication commun à la municipalité et métropole, qui se dit conscient des limites de l’exercice…

La campagne d’affichage et sur réseaux de la Ville de Saint-Etienne du 17 au 31 mai a utilisé MidJourney pour générer cette image.

Dans l’idéal, cet écureuil aurait été dans le vent : c’est-à-dire toujours debout mais sur la selle d’un VéliVert électrique flambant neuf. Mais cela ne cadrait pas temporellement : un des écueils, parmi d’autres, identifiés par le service communication / marketing territorial mutualisé entre la Ville de Saint-Etienne et sa Métropole lors de sa première utilisation de MidJourney. Les nouveaux VéliVerts ont en effet été dévoilés par Saint-Etienne Métropole au moment où s’achevait cette campagne de communication publique sur les réseaux sociaux et 70 « faces » publiques stéphanoises, du 17 au 31 mai. C’est-à-dire placée dans une fenêtre de tir adéquate au thème. Trop tôt, beaucoup trop tôt pour que MidJourney ait eu le temps de piller ne serait-ce qu’un cliché d’un exemplaire du nouveau vélo libre-service stéphanois. Mais ça viendra.

MidJourney ? Un logiciel créé et lancé par un laboratoire américain éponyme il n’y a même pas un an qui, à l’instar du toujours plus célèbre ChatGPT avec les mots propose, lui, de générer des images – illustrations dessins, photos, plans, montage comme ici – artificielles selon des demandes très précises, jusqu’à reproduire le style d’un célèbre photographe, en se basant sur du réel, celui sorti d’une imagination réelle et réellement créatrice, celle des êtres humains. Pour produire ses images et ses photos, le logiciel a, en effet, été alimenté de centaines de millions d’images de toute nature, certaines puisées dans le domaine public, bien d’autres issues de banques d’illustrations privées, et donc « protégées » par le droit d’auteur sur lequel s’assoit – confortablement – la start-up. On doute de l’inconscience frivole du patron, David Holz, lorsqu’il déclare crânement à un média américain, comme le relate L’Express dans un long article consacré au sujet en mars, qu’il est « ouvert à l’idée », celle qu’un auteur puisse lui demander d’être retiré de ses bases de données… 

Bienvenue dans le far west de l’IA

En attendant, comme le disait aussi il y a 3 mois le magazine hebdomadaire français, on peut se payer des illustrations précises auprès d’intermédiaires sous-traitants déjà affutés à son utilisation pour… 20 € l’unité. De quoi inquiéter au-delà de la manipulation de la réalité le gagne-pain déjà si érodé des photographes pros oui mais aussi des illustrateurs de publicité, réalisateurs de films, auteurs de BD, graphistes et même architectes. Bienvenue dans le far west de l’IA. Mais à la grande différence de celui généré par l’irruption d’Internet à la fin des années 1990, nous savons déjà que c’en est un. Alors qu’il a fallu attendre les années 2010 pour une prise de conscience relativement généralisée avec le web, pas gratuit pour rien. Et c’est dans cette perspective que le directeur de la communication / marketing territorial de Saint-Etienne et Saint-Etienne Métropole, Olivier Barbé, dit avoir décidé de tester une campagne en utilisant les algorithmes de MidJourney.

En ne se penchant pas assez sur le phénomène des réseaux sociaux, il y a 10-15 ans, bien des organisations publiques comme les collectivités ont ensuite galéré à rattraper le retard.

Olivier Barbé, directeur de la communication de Saint-Etienne

« L’IA est un tsunami qui ne concerne pas que notre univers et qui a commencé il y a une dizaine d’années dans la Medtech, chez les traders, les professionnels du droit, etc., rappelle-t-il à If. Cependant, l’arrivée de ChapGPT et MidJourney la confronte directement avec le grand public et impacte de nouvelles professions créatrices, comme les nôtres. Cela amène de nombreuses réflexions éthiques, tout à fait, et aussi de process. Pour ou contre, cette révolution est là. Alors, autant l’appréhender, anticiper tout de suite avant de se réveiller avec plusieurs trains de retard dans quelques années. En ne se penchant pas assez sur le phénomène des réseaux sociaux, il y a 10-15 ans, bien des organisations publiques comme les collectivités ont ensuite galéré à rattraper un retard d’expertise considérable. » Il s’agit aussi d’être en phase avec le recrutement de futurs collaborateurs, probablement souvent jeunes, qui seront rodés à ce recours et d’atténuer le choc pour ceux déjà là, éviter de reproduire le séisme de l’informatique parmi les cadres, rétifs ou non, dans les années 80-90.

Qu’a donné le test ?

La démarche entreprise à Saint-Etienne, probablement une première de la part d’une collectivité, est donc un test et ne consiste pas, assure-t-il avec insistance, à envisager de remplacer son studio graphique internalisé aux prestations réalisées par cinq équivalents temps plein non sous-traitées dans le cas stéphanois par la collectivité à des agences privées. Pas plus donc, du coup, qu’il ne supprime du travail à ces dernières puisqu’il ne leur est pas commandé. C’est aussi une manière d’évaluer les réactions du personnel, en retrait pour les uns prêts à foncer pour les autres. Qu’a donné le test du coup ? « A ce stade, on a finalement plus perdu de temps que gagné du temps en réalisant cette image. Il a fallu retravailler l’image, donc l’intervention humaine était nécessaire. Mais il faut voir, petit à petit, à l’usage. » Pour Olivier Barbé, en attendant, MidJourney peut s’envisager comme un plus sur le process global et non un substitut des postes en place libérés d’une partie de leurs taches pour en approfondir ou effectuer d’autres.

Ne serait-ce aussi parce que MidJourney ou ses futurs avatars, probablement plus efficaces, auront besoin de ressources créatives pour s’alimenter. Or, l’intelligence artificielle n’existe pas en réalité. Il n’y a que des programmes créés par l’humain. Et sur la propriété des images utilisées ? « Effectivement, dans notre cas, nous ne savons pas d’où elles viennent. Maintenant, nous ne considérons pas non plus qu’il s’agisse de recel de voiture volée. Il y a certes un flou, une zone grise et un modèle économique, une gestion des droits qui vont s’inventer, comme cela s’est fait sur d’autres révolutions précédentes. Quand des Adobe, Indesign et Photoshop seront pleinement sur le sujet… » Et côté communication privée, qu’en pense-t-on ? Nous avons sollicité Altavia, poids lourds régional et polyvalent – plus grande agence d’Aura en termes de chiffres d’affaires – du secteur avec 120 salariés partagés entre Lyon et Saint-Etienne, son siège social.

« Ce sera un nouveau collègue ! »

Son directeur général Ludovic Noël, ex-patron de la Cité du design de 2011 à 2017, partage une position analogue avec celle d’Olivier Barbé : « Actuellement, sur ce sujet, c’est le far west mais cela va évoluer, forcément. Je trouve la démarche de la Ville de Saint-Etienne plutôt logique, surtout que cela n’enlève pas du boulot à des agences. Autant essayer d’y voir le plus clair possible dès maintenant. C’est ce que nous faisons d’ailleurs à Altavia : tous les 15 jours, nous avons une réunion entre 12 h et 14 h sur le sujet, un « forum IA » entre moi, des directeurs artistiques, conseils en stratégie, programmateurs, graphistes… Pas une des nos professions qui ne soit pas concernée. Certains utilisent déjà l’IA dans leur quotidien, pas sur MidJourney mais le codage. »  Dans ce cas, les développeurs d’Altavia ont l’habitude de voir les standards changer tous les 3 ou 4 ans. La nouveauté est une habitude et ne se débat pas si elle est pertinente.

Nous sommes au début de quelque chose et il n’y a pas le choix.

Ludovic Noël, directeur général d’Altavia

Pour Ludovic Noël, l’IA ne va pas remplacer des métiers, « ce sera un nouveau collègue ! Celui qui fait dix fois plus vite que moi une tache répétitive, souvent ennuyeuse que l’on peut éliminer au profit d’une plus intéressante et à meilleure plus-value, générant même de nouveaux emplois à l’image de la robotique dans l’industrie. Nous sommes au début de quelque chose et il n’y a pas le choix. » Le DG d’Altavia ajoute que la perspective que l’IA peut donner aux métiers de la com sur le ciblage des clients, là où une politique de « sulfatage » se poursuit, y compris à l’heure du web, cookies ou pas et des réseaux sociaux à outrance.

Pour revenir à MidJourney, reste la question centrale à ne pas occulter sur le droit de propriété des créations confisquées par ce type de base de données. Pour lui aussi, l’organisation du secteur et la loi finiront pas venir à bout du far west dans un futur où MidJourney sonnera peut-être aux oreilles comme un feu Wanadoo dont seules des boites mails prolongées de quarantenaires rappellent l’existence (en plus des échos répétitifs des mi-temps à Geoffroy-Guichard au début des années 2000 !). Non sans faire perdre aux créateurs plus d’une plume au passage. « Le danger aussi, c’est le risque d’appauvrissement, d’uniformisation de la création… » Saint-Etienne, elle, envisage déjà une campagne test 2.0 pour cet automne.

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