L’ASSE et l’université Jean-Monnet vont intensifier leur une-deux
L’AS Saint-Etienne et l’université stéphanoise ont officialisé, via une convention signée mardi, des échanges dont le coup d’envoi date déjà de près de 20 ans. Des liens, bénéfiques aux deux structures, toujours plus étroits et qui devraient l’être un peu plus autour de l’évaluation de la performance physique, la prévention des blessures, des programmes de recherche mais aussi la formation de leurs personnels respectifs.
La donnée n’est pas courante et peu mise en avant. Alors mardi, Thierry Cotte n’a pas manqué la fenêtre de tir qui lui était offerte. Le responsable de la « cellule d’aide à la performance » de l’ASSE a mis sur la table le fait que l’effectif des Verts était, depuis le début de cette saison « le 2e ex-aequo Ligue 1 et Ligue 2 confondues en termes de disponibilité ». C’est-à-dire le second quant à son taux moyen de joueurs blessés. Cela en surprendra plus d’un et nous avouons n’avoir pas été en mesure de consacrer une œuvre de recherche depuis mardi pour recouper cette donnée dont la dernière mise à jour date d’une semaine. Quelques minutes plus tôt, à l’occasion de cette venue de l’ASSE sur le campus Santé de l’université Jean-Monnet au CHU de Saint-Étienne, Jean-François Soucasse, président exécutif du club avait, lui d’emblée tenté de couper l’herbe sous le pied des « mauvaises langues », certain qu’il était de leurs commentaires ironiques en apprenant que le club venait ici conférer, entre autres, autour de la notion de « performance ».
Il y a 10 ans, les performances physiques du calibre d’un Aubameyang étaient hors normes. De nos jours, l’équivalent se voit de plus en plus couramment, parfois même en réserve.
Thierry Cotte, responsable de la performance à l’ASSE
« Forcément, quand on subit une série de mauvais résultats, c’est plus compliqué d’en parler. Je préfère les bonnes langues et l’optimisme », argue Jean-François Soucasse. Il faut prendre de la hauteur, insiste aussi Thierry Cotte. Et estimer sur le long terme cette analyse, cette démarche scientifique transversale toujours plus prégnante au sein de l’ASSE. Cela dans un contexte footballistique où les choses, l’exigence d’intensité physique en particulier, bougent très vite. De plus en plus vite. Si l’ASSE ne faisait pas ce qu’elle fait actuellement, elle irait, selon son staff, très probablement beaucoup, beaucoup moins bien. Car « de nos jours, à ce niveau, quand vous ne cherchez pas en permanence à avancer, vous régressez déjà, synthétise Thierry Cotte. Il y a 10 ans, les performances d’intensités physiques du calibre d’un Aubameyang étaient hors normes. De nos jours, l’équivalent se voit de plus en plus couramment, parfois même en équipe réserve. L’intensité des efforts exigés augmente sans cesse, au rythme de + 4 % chaque année en Europe. Et avec, le risque et la nécessité de prévenir les blessures de « machines » toujours plus mises à contribution. »
Des GPS dans le dos
Jusque-là préparateur physique du groupe professionnel (à partir de 2006), Thierry Cotte chapeaute depuis 2022 et sa création la cellule performance de l’ASSE. « C’est quelque chose que l’Angleterre développe depuis maintenant des années et qui a tendance à se généraliser ailleurs même si la façon de faire diffère d’un pays, d’un club à l’autre. Chez nous, son rôle est transversal et consiste, non pas à donner des directives mais à apporter à chaque service les données leur permettant d’éclairer leurs prises de décision. » Une logique, pièce par pièce d’un vaste « puzzle » qui doit permettre une performance globale sur le terrain, voire en coulisses. Côté préparateurs physiques, pour éviter la blessure, savoir sur quoi travailler et quand, en fonction du profil du joueur, lui-même déterminé par les études, optimiser les conditions physiques. Ou encore face à l’imprévu, comprendre pourquoi ce qui arrive est arrivé et comment cela ne doit plus arriver. Côté recruteurs, une data dense utilisant des schémas mathématiques afin de mettre en évidence les joueurs accessibles les plus susceptibles de s’intégrer dans le projet de jeu de l’entraîneur Laurent Battles.
Les thèmes balayés, physiologiques ou non sont nombreux : récupération, soins, reprise, nutrition, préparation mentale et cohésion de groupes et désormais, aussi, gestion de l’entourage extra sportif qui a de plus en plus tendance à marcher sur les plates-bandes du club. Y compris en termes de préparation physique. Des coachs personnels peuvent donner des consignes qui diffèrent de celles du staff. Or, « ce ne sont pas eux qui sautent en cas de méformes et blessures à répétition… », relève Thierry Cotte. Ce dernier n’est pas seul face à la tâche et peut compter sur l’intervenant Mathias Michel, « data scientist », Thibaut Lombard, kiné du centre de formation de l’ASSE qui intervient dans la cellule pour de la prévention au centre de formation ainsi que sur l’activité de Laurine Vantieghem, étudiante en Staps à l’université Jean-Monnet actuellement en stage au club. « Elle nous a permis récemment d’améliorer notre outil de mesure force/vitesse des joueurs à l’entraînement », précise Thibaut Lombard. Exit les radars mesurant les sprints : grâce à ses travaux, les joueurs portent désormais chacun un GPS dans le dos pour une analyse individuelle plus efficace, plus rapide.
Modélisation 3D
Une illustration parmi d’autres des liens noués entre l’ASSE et l’université Jean-Monnet. La cellule performance s’appuie en effet en grande partie sur l’expertise scientifique des laboratoires de l’établissement qu’il s’agisse de ses chercheurs ou de ses plateaux techniques dont le club paie l’utilisation. D’autant que le campus Santé est situé à 500 m de son centre d’entraînement. Les allers/retours, sans compter les vérifications les soirs de match, sont donc monnaie courante. « Le rapprochement a vraiment commencé avec les travaux Jean-Claude Chatard au début des années 2000. Il avait été mon directeur de recherche, explique Thierry Cotte, lui-même ex étudiant en Staps et titulaire d’un DEA de l’université stéphanoise. Il faut aussi citer Sébastien Sangnier, aujourd’hui préparateur à l’OGC Nice qui a effectué un doctorat et avec qui nous avons mis en place les premiers protocoles. » De nos jours, l’excellence de la recherche stéphanoise dans le domaine du sport-santé trouve une application toujours plus poussée avec l’ASSE via le Laboratoire Interuniversitaire de Biologie de la Motricité (LIBM) et plus globalement aux équipements techniques de l’Institut Régional de Médecine et d’Ingénierie du Sport (Irmis) dirigé par Jérémy Rossi.
On s’est rendu compte que le positionnement trop en avant du bassin en courant augmentait les risques aux ischio-jambiers.
Thibaut Lombard, kiné du centre de formation de l’ASSE
Ce dernier assure le suivi et la coordination scientifique du partenariat avec l’ASSE aux côtés de Jean-Benoît Morin, enseignant-chercheur au LIBM. L’utilisation des outils universitaires permet, encore un exemple parmi d’autres, de définir les profils individuels de performance physique (jusqu’à les comparer à eux mêmes avec leur vieillissement) et la nécessité de donner une charge de travail ou non à l’entraînement en fonction de ce qui vient d’être vécu (tel joueur, parce qu’il est « bâti » de telle façon n’effectuera pas de sprints deux jours après un match où il les a multipliés). Ou encore d’avoir compris que la manière de courir, la gestuelle inconsciente d’un individu peut augmenter une probabilité de blessure : « Par exemple, par modélisation 3D, on s’est rendu compte que le positionnement trop en avant du bassin en courant augmentait les risques aux ischio-jambiers », pointe Thibaut Lombard. Mardi, Jean-Monnet et l’ASSE ont souhaité formaliser leurs échanges dans une convention, encore relativement rare entre un club professionnel de football et une université mais « pas non plus une première, note Jérémy Rossi. Le Mans quand ils étaient au haut niveau, l’OM, le TFC et Clermont Foot l’ont déjà fait à ma connaissance ».
Vase clos aux vestiaires
Par cette signature d’une convention de coopération, l’UJM et l’ASSE s’engagent « à renforcer leurs liens et à développer des actions communes autour d’intérêts réciproques » : poursuite et intensification de « l’évaluation de la performance sportive de haut niveau et de la production de connaissances relatives à la prévention des blessures » ainsi que « faire émerger de nouveaux projets de recherche ». S’ajoute l’ouverture d’un « volet exploratoire dédié à la formation » dans les deux sens. Le club compte actuellement cinq étudiants en Staps comme stagiaires et pourra aussi compter vis-à-vis de son propre personnel sur la formation continue de l’université. « Nous avons en commun l’abnégation dans les moments difficiles et un attachement viscéral au territoire. Traditionnellement, le football est un univers vu comme éloigné de la recherche universitaire. C’est la preuve que non avec notre capacité à nous ouvrir aux acteurs d’un écosystème local auquel appartient évidemment l’ASSE. Comme elle, nous ne fonctionnons pas en vase clos », commente Stéphane Riou, vice-président de l’UJM en charge des moyens et de la stratégie.