Saint-Étienne
dimanche 28 avril 2024
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Eenuee va lancer une levée de fonds conséquente pour décoller  

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C’est peut-être bien une nouvelle étape de l’aéronautique qui se joue actuellement entre Saint-Etienne et Andrézieux-Bouthéon. La start-up stéphanoise Eenuee met au point un avion électrique 19 places pour relier des distances mal desservies par le train ou la route. Après des premiers tests concluants dans le ciel de Saint-Galmier au 1/7e, elle s’apprête à lancer une levée de fonds de plusieurs millions d’euros pour la phase suivante. A terme, c’est potentiellement un acteur industriel majeur qui pourrait être créé dans le sud Loire.

Au sein du pavillon de la Région Aura au célèbre Salon du Bourget en juin, Eenue n’a pas manqué de visibilité. ©Eenuee

Peut-on traduire le projet d’Eenuee comme un futur « bus des airs » électrique ? « Oui, on peut le dire comme ça. Maintenant, il faut bien comprendre que nous sommes avant tout, et à la base, des constructeurs, des concepteurs d’avions dotés de l’expérience et des compétences pour cela », insistent Benjamin Persiani et Blandine Favier, responsables respectifs du financier et de la communication au sein d’Eenuee. Ultramédiatisée en 2022 et début 2023, la start-up, et avec elle son projet au long cours de petit avion électrique 19 places, a, par la suite, préféré calmer le jeu et, avec, les comparaisons accumulées. Question de crédibilité auprès des investisseurs. Pourtant, c’est peut-être bien une nouvelle étape de l’aéronautique, certes parmi d’autres, qui se joue actuellement entre Saint-Etienne et Andrézieux-Bouthéon.   

A la base, ingénieurs respectivement spécialisés en électronique de puissance et en matériaux composites, Erick Herzberger (passé notamment par Valeo) et Benoît Senellart ont fondé fin 2019 Eenuee en Haute-Savoie. Projet qui a succédé à un sérieux précédent du côté des Alpes aussi : la mise au point du prototype d’hydravion biplace à coques, ultraléger, dénommé « Akoya » via une précédente start-up : Lisa Airplanes. Cette dernière, n’étant pas parvenue à passer à la phase industrielle, a depuis été liquidée mais la technologie de l’Akoya – qui est décrit comme le seul modèle au monde à être équipé de « foils* », capable de décoller et atterrir sur terre, eau et neige – a volé. Et elle est bel et bien industrialisable. Elle a d’ailleurs été rachetée avec ses outillages, brevet et moules par une entreprise chinoise (Zheilang Xingxle General Aviation Industry) il y a un an à la suite de la décision du tribunal de commerce d’Annecy. Non sans quelques turbulences jusqu’au Sénat et contestations amères des Français d’Hydroptère 2.0, intéressés aussi par la reprise…

Pour le prix d’un billet TGV

Très différent dans ses objectifs finaux, le projet d’Eenuee qui a déménagé à Saint-Etienne s’adresse, lui, aux voyageurs. Aux « petits » voyageurs. Ses créateurs partent du constat qu’un créneau de transport est à saisir sur des distances désertées par le train ou l’aérien classique : pour parfait exemple, celui hexagonal des transversales est/ouest entre grandes ou moyennes villes. L’idée, en misant sur le développement continu des capacités des batteries électriques (500 km d’autonomie actuellement ; 700 à 1 000 visés à terme pour 1 h 30 de recharge), est de mettre sur le marché d’ici quelques années un petit avion électrique de 19 places, évoluant entre 250 à 300 km/h et 3 500 m d’altitude maximum, capable de se poser n’importe où, eau comme terre. Ce sont d’abord les petits aérodromes qui sont visés à ce stade. Mais à terme, pourquoi pas aussi les fleuves traversant les zones urbaines si cela devait être autorisé. C’est là que revient l’idée du « bus aérien » : pour un prix équivalent à un billet TGV, l’avion d’Eenuee pourrait atterrir et décoller rapidement sur l’ensemble d’un parcours d’un point A à un point B distants de plusieurs centaines de km, autorisant des arrêts entre les deux.   

On peut imaginer la même « enveloppe » aménagée différemment pour des objectifs variés : en configuration business, humanitaire, logistique.

Benjamin Persiani, responsable financier d’Eenuee

Pourquoi « seulement » 19 places (+ deux pilotes) ? « Parce qu’à partir de 20 passagers, on franchit un cap net sur de nombreuses contraintes techniques et de certifications, répond Benjamin Persiani. 19 places, c’est une capacité valable pour lancer une petite ligne en voyageurs mais après, on peut imaginer la même « enveloppe » aménagée différemment pour des objectifs variés : en configuration business, humanitaire, logistique, voire « séminaire » en aérien etc. » L’entrée à l’intérieur de cet avion à la hauteur de plafond d’1,8 à 2 m pour sa partie centrale, se fera par une rampe d’accès à l’arrière comme pour un avion-cargo. Luminosité comprise, « l’expérience utilisateur » pour reprendre une expression-concept à la mode, est d’ailleurs travaillée de près avec les Mines et l’Ecole supérieure de Design de Saint-Etienne.

Le premier vol à l’échelle réelle d’ici 2027

C’est le terreau industriel de l’agglomération stéphanoise propice à lui accorder R&D et fournisseurs de pointe mais agiles ainsi que les yeux doux faits par Saint-Etienne Métropole ayant intégré la start-up à ses programmes de soutien à l’innovation économique (« Mind ») qui ont convaincu Erick Herzberger d’installer Eenuee, bureaux et ateliers, à Saint-Etienne au sein du Bâtiment des Hautes Technologies (BHT). L’intérêt porté, aussi, par l’entreprise de Sorbiers Celduc, fabricant de relais statiques pour sécuriser le réseau électrique, qui a investi dans l’aventure en entrant au capital. Il y a enfin, à une dizaine de kilomètres au nord, l’écrin, plutôt calme depuis quelques temps, de l’aéroport de Saint-Etienne Loire pour effectuer tranquillement (et à plus long terme avec l’idée d’y créer un site de production) et rapidement depuis ses ateliers du BHT les essais. A l’échelle d’un modèle réduit, un démonstrateur, à 1/7e radiocommandé, ceux-ci ont commencé cet automne à partir de l’aérodrome de Saint-Galmier.

Les tests avec cette version 1/7e dépourvue d’habillage ont eu lieu cet automne dans le ciel de Saint-Galmier. ©Eenuee

Tests qui se sont avérés concluants, à tous points de vue avec un retour élogieux d’un spécialiste externe engagé pour effectuer ce pilotage à distance. Ce qui ouvre la voie à la batterie de tests suivants, espérés, eux, pour 2025 et toujours en modélisme radiocommandé. Cette fois cependant à l’échelle d’un quart de la future taille réelle. Une même réalité qui se construit pas à pas, étape par étape. Car les autorisations de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), elles, ne s’obtiennent pas avec de la légèreté qui sied à cet avion… Aussi, le premier vol d’essai avec un prototype à échelle réelle et deux pilotes, bel bien assis dans l’avion, est envisagé pour 2026, 2027 au plus tard. Si c’est le cas, la commercialisation, conçue pour une échelle mondiale, dépassant largement la France afin de s’intéresser, en particulier, à l’aérien d’outre Atlantique, pourrait enchaîner dès 2028. Avant 2030 en tout cas.

Un énorme projet industriel se profile derrière  

A moins que tout aille encore plus vite qu’espéré… Il faudrait pour cela que la levée de fonds très conséquente – elle vise plusieurs millions d’euros d’ici la fin de l’année – qu’Eenuee s’apprête à lancer sur ce premier semestre dépasse ses objectifs. Quitte à ce qu’Erick Herzberger pour l’heure encore propriétaire majoritaire devienne minoritaire, « sans pour autant que ses parts soient diluées trop fortement, nuance Benjamin Persiani. Le contraire n’est de toute façon dans l’intérêt de personne, y compris pour les nouveaux investisseurs. Il s’agit d’un projet industriel solide pour la région ». A propos de région mais avec un grand « R », la mise en évidence d’Eenuee en juin, au sein du vaste pavillon d’Auvergne-Rhône lors de l’édition 2023 du célèbre Salon aéronautique du Bourget n’est pas passé inaperçue. Et pas qu’auprès du grand public. Cette exposition en première ligne n’aurait pas échappé à l’œil de Laurent Wauquiez, président d’une collectivité locale derrière un fonds d’amorçage industriel qui ne peut s’enclencher qu’avec l’abondement du privé…

Sur le pavillon de la Région Aura au salon du Bourget en juin. Le modèle réel aura une envergure de 33 m. ©Eenuee

A terme, pour l’économie locale, pas seulement celle de Saint-Etienne, au regard du nombre de sous-traitants pouvant être impliqués (des fournisseurs de matériaux composites par exemple), c’est une usine d’assemblage assez monstrueuse qui pourrait être créée à Andrézieux-Bouthéon. Cela, dans le périmètre de l’aéroport, selon les plans de long terme. Actuellement, Eenuee emploie deux personnes à temps plein, une quinzaine étant impliquée opérationnellement dans le projet pour l’équivalent de cinq équivalents temps plein. Demain, c’est-à-dire autour de 2030, cela pourrait être des centaines voire plus. Mais pour y parvenir, une fois la technologie validée, il faudra parvenir, à mobiliser beaucoup, beaucoup plus d’argent. Un billet autour de… 300 M€ ! Un peu plus cher, dix fois plus, que d’acheter un TGV. Mais quand on sait que rétablir les 48 km de ligne ferroviaire mis à l’arrêt entre Saint-Etienne et Clermont depuis 8 ans est désormais évalué à un coût entre 115 et 160 M€, ce n’est sans doute pas du vol…                

* Un foil est une aile positionnée et profilée de façon à engendrer une force de portance qui agit sur sa vitesse et sa stabilité ; on peut ainsi utiliser un hydravion même en cas de clapot, voire plus selon la taille de l’appareil.

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