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dimanche 28 avril 2024
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Serge Zaka : « Dans la Loire, l’agriculture va devoir se « méditerraniser » »

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Pistaches du Forez et autres olives du Roannais… Une évidence en 2050 ? Docteur en « agro-climatologie », le médiatique Serge Zaka appelle à une nouvelle révolution agricole. Ce spécialiste des effets du changement climatique sur l’agriculture parcourt la France, localisant la schématisation des impacts. A ses yeux, la Loire doit initier le processus pour « méditerraniser » son agriculture. Dès maintenant. Ce qui ne repose sûrement pas sur les seuls agriculteurs… Serge Zaka sera à Saint-Chamond le 29 mars.  

Une filière pour l’olive dans le Roannais, une réalité en 2050 ? Image d’illustration de Pixabay

Vous êtes présenté comme docteur en « agroclimatologie ». Cela consiste en quoi exactement ?  

« Cela peut paraître étonnant et le sera, on peut l’espérer, de plus en plus mais il n’y a effectivement pas de filière de formation spécifique en « agroclimatologie » malgré l’urgence et la montée de la thématique. Ce n’est d’ailleurs vraiment le cas que dans les pays anglo-saxons. Nous sommes moins de cinq en France à pouvoir revendiquer ce « titre » au nom de nos recherches scientifiques. J’ai un doctorat en agronomie et un autre en climatologie (*). Or, l’agronomie qui relève de la bio et la climatologie de la physique, sont encore abordées de manière très différenciée, très cloisonnée en France. Ce qui a d’ailleurs aussi surpris les membres du gouvernement avec qui je suis en contact. Après avoir longtemps travaillé dans le privé à Montpellier dans la modélisation au service des agriculteurs (au sein de l’entreprise ITK, Intelligence Technology Knowledge, Ndlr), je souhaitais contribuer à la recherche publique et me lancer dans la vulgarisation. Depuis un an, outre mes activités de photographe/chasseur d’orages, je suis conférencier. Et je le fais en localisant, systématiquement, mes analyses, mes cartes, mes démonstrations aux sols, aux microclimats, aux filières agricoles des terroirs où l’on a fait appel à moi. »

L’arboriculture de la Loire a fortement souffert du gel en avril 2021 en raison d’un printemps encore une fois trop précoce. Cette période-là a marqué un tournant dans votre reconnaissance nationale puisque vous aviez « prédit » dès mi-mars la catastrophe à venir en France. Est-on actuellement dans les mêmes dispositions ?

« Oui, tout est réuni actuellement pour que ce même type de catastrophe ait lieu. En espérant que ce ne soit bien sûr pas le cas, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas d’épisode de gelées significatives en avril. On sort à nouveau d’un « faux printemps » en ayant vécu du mars depuis fin janvier et ensuite tout février. Et on s’apprête à enchaîner sur l’équivalent d’un mois d’avril. La végétation suit et fleurit trop tôt. Le scenario peut être très différent d’une année à l’autre mais il y a une tendance, forte, indéniable : il ne s’agit pas d’épisodes exceptionnelles mais d’une évolution structurelle. Le climat méditerranéen remonte vers le Nord et il a commencé à s’installer dans la Loire qui n’en est pas loin. Il est grand temps de commencer à adapter notre agriculture. »  

Serge Zaka : « Dans la Loire, vous avez tout »

Oui, on sait, Serge Zaka a plus ou moins un look de cow-boy mais est-ce le plus important ? Photo transmise par Serge Zaka

Vous dites créer des analyses localisées et détaillées sur les zones géographiques dans lesquelles vous vous rendez. Qu’avez-vous à dire sur la Loire ?  

« Qu’elle m’a demandé énormément de travail de préparation ! Parce que vous avez tout ici : cette grande variété en termes de sols, de reliefs, de microclimats mais aussi au niveau de vos filières agricoles à l’échelle d’un seul département (qui plus est, d’assez petite taille, Ndlr) est remarquable. Certes, il y a une omniprésence d’élevage laitier mais il y a aussi de l’élevage pour la viande, des grandes cultures céréalières – maïs, blé – et fourragères d’abord pour nourrir le bétail et derrière, encore d’autres types de cultures : maraîchage, arboriculture… C’est d’une grande richesse. Vous avez même un grand canal d’irrigation (canal du Forez, Ndlr). Les moyennes montagnes qui encadrent à l’ouest, au sud et à l’est le département font varier du simple au double les précipitations, les températures. Cette variété est un atout pour les changements à venir. »

Il faut regarder les choses en face : en 2050, avec l’évolution des températures, les conditions dans la Loire ne seront quasiment favorables que pour une agriculture de type méditerranéenne.

C’est-à-dire ?

« L’agriculture de la Loire va devoir se « méditerraniser ». Comme ailleurs en France, il n’y a pas le choix. Dès les années 2030/2040, il va devenir très, très compliqué pour ne pas dire impossible de poursuivre avec les mêmes espèces végétales ou animales, le même schéma. Il faut regarder les choses en face : en 2050, avec l’évolution des températures, les conditions dans la Loire ne seront quasiment favorables que pour une agriculture de type méditerranéenne. C’est une question de rendements. En dessous de 700 m, à cette date, la production estivale des vaches laitières devrait tomber de 32 % en moyenne à cause de la chaleur, du manque d’eau. L’impact économique est énorme. Est-ce que ça signifie la fin de l’élevage bovin et la fin de l’élevage tout court ? Non, mais en dessous d’une certaine altitude, les vaches devront dans la Loire céder la place aux ovins et caprins plus adaptés. »

An 2080 : pistaches typiques du Forez ? Image par NoName_13 de Pixabay

« Je reste optimiste, J’ose y croire »

Et pour les grandes cultures ?

« La végétation commence à changer. Déjà les arbres non adaptés meurent peu à peu au profit de ceux installés jusque-là plus au Sud. La garrigue devrait être présente chez vous vers 2070. Avec de moins en moins d’eau, les grandes cultures actuelles devront être remplacées. Pas encore par des agrumes ici mais, en revanche déjà par des patates douces, des cacahuètes, des oliviers, des figuiers, des pois chiches, voire des pistachiers. Il faudra, en revanche, attendre la fin du siècle pour la grenade… C’est aussi faire évoluer notre alimentation oui. Mais un maraîchage adapté peut tirer profit de la situation. L’arboriculture peut se maintenir mais avec de nouvelles variétés, comme pour les abricots évoluant jusque-là plus au Sud. Nombre de vergers devront remonter en altitude. Ce qui risque d’accentuer la pression sur les terres. »

La garrigue devrait être présente chez vous vers 2070. Avec de moins en moins d’eau, les grandes cultures actuelles devront être remplacées.

Cet appel à prendre fermement le taureau par les cornes ne risque-t-il pas, de classiquement rester lettre morte ? Comment exiger des agriculteurs au regard de leurs énormes difficultés un tel bouleversement ?  

« Nous n’avons pas le choix mais évidemment, cela ne peut pas reposer sur les seules épaules des agriculteurs. Ils n’ont pas les moyens d’aligner les milliards et milliards d’euros nécessaires à cette transformation. Le secteur aura donc besoin d’un accompagnement massif de la part de l’Etat d’un côté. De la part de la grande distribution et des filières agro-alimentaires de l’autre. Personnellement, je reste optimiste, j’ose y croire. Parce que, pour la première fois, les deux parties semblent, certes discrètement mais réellement, en prendre conscience : le ministère de l’Agriculture travaille, entre autres avec moi, sur cette question, ils initient des plans, se parlent. Les entreprises de l’agro-alimentaire et la grande distribution ont de plus en plus conscience que leur viabilité est en jeu. Des initiatives concrètes significatives dépassent l’expérimentation en France : dans le Sud-Ouest, des centaines d’hectares de maïs viennent d’être remplacées, on importe du matériel génétique du Maroc… Dans le Vaucluse, le Syndicat France Pistache a été créé et se développe. A la suite de l’effet sèche-cheveu (fort vent articulé à des températures de plus de 40 degrés, Ndlr) de l’été 2019 qui, dans le Sud, avait tout grillé en quelques heures, la grande distribution et l’industrie ont découvert le manque. Notre vulnérabilité doit nous amener à évoluer. Soyons positifs. »

Conférence de Serge Zaka le vendredi 29 mars 2024 à 18 h 30, salle Roger Planchon à Saint-Chamond, dans le cadre des Ateliers durables 2023/2024. Entrée libre, réservation conseillée. Par courriel : rso@saint-chamond.fr . Sinon, sur la plateforme « Je participe » de la Ville.

* Diplômé d’ingénieur agronome à l’Institut Agro Dijon, Serge Zaka a poursuivi ses études par un doctorat en « biologie de l’environnement, des populations et écologie » à l’Université de Poitiers. Il rejoint également la cellule Agroclim mise en place par l’Institut national de la recherche agronomique (Inra, aujourd’hui Inrae). Avant de se lancer dans un doctorat étudiant « l’impact de la température sur les espèces fourragères ».

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