Saint-Etienne Métropole : Sylvie Fayolle exige la maîtrise totale
Le brouillard est là, persistant depuis 14 mois. Malgré le « retrait total » de son président Gaël Perdriau en 2022, la communication et le cabinet de la présidence de Saint-Etienne Métropole sont toujours entre ses mains. Et pour cause : c’est avant « l’affaire » que la première a été « mutualisée » et dès 2017 que le second a été « partagé ». Dans les deux cas avec la municipalité de la Ville centre où le maire exerce encore pleinement ses pouvoirs… Après des mois de « négociations », Sylvie Fayolle, appuyée par 75 % des membres du bureau métropolitain, exige de lui d’avoir les mains libres, entre autres pour créer son propre cabinet. Explications.
Pour sa première lors d’une assemblée à Saint-Etienne Métropole, Michaël Roncier avait été prié d’aller s’assoir un peu plus loin. C’est-à-dire dans le public, à distance suffisante des échanges « offs » entre élus de l’exécutif métropolitain. C’était en décembre lors d’une séance ne manquant pas de piques et de piquants. Le nouveau directeur de cabinet de Gaël Perdriau à la Ville de Saint-Etienne est pourtant censé être aussi celui de Sylvie Fayolle, présidente par intérim depuis le départ d’Hervé Reynaud contraint, à sa propre surprise, de reprendre les rênes intercommunales en décembre 2022. Ce jour-là, un 8 décembre, Gaël Perdriau annonçait se mettre en « retrait total » à la suite de la dernière déflagration envoyée quelques jours plus tôt par Mediapart.
Celle qui mêlait – collatéralement – Laurent Wauquiez à l’affaire de chantage à la vidéo intime, plaçant dans un isolement tout aussi total le président maire. Les derniers élus LR qui, sans pour autant, le soutenir avaient adopté une prudente « distance » à tous points de vue appelant dès lors à sa démission. A ce stade, le directeur de cabinet de Gaël Perdriau, « partagé » entre la Ville de Saint-Etienne et Saint-Etienne Métropole (techniquement, deux mi-temps), Pierre Gauttieri avait été déjà licencié par le premier pour perte de confiance. Il aura fallu un an pour voir recruter, à sa place, Michaël Roncier sans que l’on sache quelles seraient ses prérogatives vis-à-vis de l’exécutif métropolitain, puisqu’il n’a pas été officiellement présenté. Impossible de lui poser cette question cruciale, d’autant que l’entretien que nous avions d’ailleurs patiemment sollicité nous avait été alors refusé.
Conférence de presse surprise
Au sujet de son directeur de cabinet « partagé » et non « mutualisé », comme souvent dit, jusque-là mais par excès de langage, précise Denis Barriol, maire de Genilac et vice-président aux Ressources humaines, Gaël Perdriau a totalement la main. C’est le cadre légal et personne ne peut agir sur ce point. Y compris Denis Barriol qui, en revanche, aurait à étudier et discuter avec la présidence du recrutement d’un directeur de services, par exemple. Mais dans le cas de Michaël Roncier, il a été mis devant le fait accompli. Comme le reste de l’exécutif. Brouillard épais et méli-mélo donc, doublés des problématiques de la politique communication globale de la métropole ainsi que des relations presse : qui décide quoi dans ces domaines, au niveau métropolitain ? Au-delà de la com, du cabinet, c’est une problématique de confiance entre élus et cadres de la collectivité pouvant donner lieu à « des conflits de loyauté potentiels », nous avance un vice-président et donc peser sur les décisions.
Bref, qui commande vraiment dans cette maison ? « Ce que nous demandons à Gaël Perdriau, c’est un réel retrait total, comme il l’a annoncé en décembre 2022. Bien que le terme de retrait total ne correspond à aucune définition juridique, les mots ont un sens. Or, le retrait total, ce n’est pas ce que nous constatons depuis avec, par exemple des communications publiques via des vœux, ou internes auprès des agents. Et des décisions qu’il continue à empêcher par les siennes, comme sur le cabinet et les relations presse », a expliqué, jeudi Sylvie Fayolle lors d’une conférence de presse surprise en amont de l’assemblée communautaire. Une trentaine d’élus de métropoles, maires ou non et de tous bords politiques (quand ils en ont) étaient présents à ses côtés. « Dans un souci d’apaisement, de main tendue, j’ai souhaité dans un premier tant négocier avec lui sur ces éléments. Je l’ai fait depuis octobre. Mais sans résultat. D’où cette initiative à laquelle nous nous sommes résolus et que nous vous présentons aujourd’hui. »
75 % du bureau derrière Sylvie Fayolle
L’initiative en question : une lettre envoyée début février à Gaël Perdriau rédigée le 24 janvier collectivement et qui a exigé 1 h 30 de travail pour mettre ses signataires d’accord examinant chaque phrase, chaque mot. 55 élus l’ont signé. 75 % des membres du bureau, 85 % des maires de la Métropole. Trois élus ont retiré leurs signatures en apprenant l’organisation d’une conférence de presse jeudi. Manquent aussi, mais initialement, six signatures de vice-présidents : les Stéphanois toujours dans la majorité Perdriau à la Ville, assez logiquement (Marc Chassaubéné, Siham Labich, Robert Karulak, Nora Berroukeche) ainsi que le vice-président aux finances Christian Julien et celui aux transports Luc François. Dans la lettre, les élus rappellent que les « mots ont un sens » : « Nous vous demandons de joindre les actes à la parole, de vous mettre réellement en retrait total, de ne plus signer aucun courrier, ni de communiquer au nom de la Métropole. Nous avons vu sous l’intérim d’Hervé Reynaud puis à présent de Sylvie Fayolle que vous continuez à intervenir dans la vie de la gestion de notre institution. »
Nous avons vu sous l’intérim d’Hervé Reynaud puis à présent de Sylvie Fayolle que vous continuez à intervenir dans la vie de la gestion de notre institution.
Extrait de la lettre adressée à Gaël Perdriau
La lettre exige donc dans le même « intérêt général », que Gaël Perdriau dit placer au-dessus tout, que ce dernier délègue les signatures conservées (à l’exception des « louages de biens », apparemment « indélégable »), « y compris celles permettant de constituer un cabinet indépendant pour les élus de Saint-Etienne Métropole ». Sylvie Fayolle ajoutait jeudi : « On ne demande pas grand-chose : la possibilité de recruter, sans que Gaël Perdriau ne s’en mêle, dans ce cabinet, ne serait-ce que trois personnes : un directeur, un attaché de presse spécifique (les relations presse de Métropole évoluent à ce sujet sans son poste spécifique depuis trois mois puisque celui-ci n’a pas été renouvelé après des années d’activité, Ndlr) et un poste d’assistant. » Postes actuellement partagés théoriquement ou dans les faits avec la Ville. « Qu’une municipalité comme Saint-Etienne avec 175 000 habitants les ait à plein temps n’a rien de délirant. Au contraire. Et idem pour la Métropole. »
Gaël Perdriau reste maître du jeu
Problème : lettre ou pas, Gaël Perdriau fait légalement ce qu’il veut tant qu’il n’est pas reconnu coupable de l’affaire de chantage à la sextape. La demande de démission exprimée dans un vœu voté aux deux tiers de l’assemblée il y a 14 mois n’a débouché à aucune sanction légale. Et Gaël Perdriau ne s’y est naturellement pas plié. Ainsi, il reste maître des délégations de pouvoir qu’il souhaite ou non accorder. Au sujet des délégations, il avait été indiqué au moment du retrait total, lorsque Hervé Reynaud avait pris l’intérim, que certains pouvoirs ne pouvaient absolument pas l’être. Le hic, c’est que les auteurs de la lettre à qui on pardonne de ne pas avoir appris par cœur le Code des collectivités territoriales ignorent si c’est bien le cas. Ces informations venant de leurs propres services sans qu’ils aient, nous ont-ils confié, la certitude de leur absolue exactitude. Le doute plane… « Nous sommes justement en train de vérifier ça », nous précise Sylvie Fayolle.
Vous m’avez demandé de pouvoir recruter un collaborateur de cabinet. J’ai immédiatement accepté cette demande légitime.
Gaël Perdriau
Le directeur général des services, tout comme les membres du cabinet de la Métropole sont à disposition pour accompagner le 1er vice-président autant que de besoin, argue, entre autres, Gaël Perdriau dans son courrier de réponse. « Personne ne saurait remettre en cause la loyauté de ces personnels envers nos collectivités. D’ailleurs du 9 décembre 2022 au 7 décembre 2023, aucune difficulté ne s’est fait jour », pointe le maire de Saint-Etienne. « Je n’ai pas signé une décision qui n’aurait pas été prise par un vice-président, je n’ai pas davantage refusé de signer une décision prise par l’exécutif métropolitain. Ma signature n’est que l’expression juridique de ma fonction de président et fait suite aux décisions prises par les vice-présidents qui disposent de délégations très élargies. » Plus loin : « Vous m’avez demandé de pouvoir recruter un collaborateur de cabinet. J’ai immédiatement accepté cette demande légitime en proposant de mandater un cabinet de recrutement. »
L’avenir s’altère déjà
La lettre dit que Sylvie Fayolle a refusé cette proposition parce que « vous souhaitez recruter David Rigault (sans citer son adversaire Laurent Wauquiez avec qui David Rigault est lié mais en y faisant allusion, lire ci-dessous, Ndlr) que j’ai licencié le 10 novembre 2016. Licenciement que ni lui, ni les élus métropolitains n’ont alors contesté. (…) Ce recrutement est inenvisageable pour le bon fonctionnement de Saint-Etienne Métropole ». La réponse de Gaël Perdriau n’a évidemment pas satisfait les auteurs des requêtes. D’où la médiatisation de la démarche. « Gaël Perdriau ne fait pas preuve d’éthique : il n’a pas démissionné à la suite du vote du vœu, il n’a jamais appliqué son retrait total et le montre en conservant des délégations, en empêchant la création un cabinet indépendant, et enfin en faisant des apparitions et des communications publiques au nom de Métropole », liste Christophe Faverjon, vice-président à l’enseignement supérieur et maire d’Unieux.
Aussi pour ce dernier, « avec cette médiatisation, il s’agit de prendre l’opinion publique à témoin. Sa réponse est nulle et non avenue. En attendant, le fonctionnement de la Métropole continue à être empêché. » Des investissements du plan de mandat 2020-2026 sont-ils mis en danger par la situation ? « Ceux du mandat actuel mis en œuvre, non », rassure Sylvie Fayolle. Mais c’est d’avantage l’avenir que l’on est en train d’altérer, complète Bernard Laget, maire de Châteauneuf : « Il devient très, très difficile de préparer l’avenir dans cette situation, les discussions avec nos partenaires locaux ou nationaux sur le plus long terme sont entravées oui. La confiance manque parce qu’ils ignorent qui commande ici réellement. » Ce « flou artistique » doit cesser, conclut François Driol, maire d’Andrézieux-Bouthéon. « Nous savons très bien à Saint-Etienne ce que donne une direction bicéphale. » Certes, mais le message n’a pas l’air de passer pour autant comme une lettre à la Poste.
David Rigault sollicité pour devenir directeur de cabinet
C’était un secret de polichinelle. C’est bien David Rigault, l’ex directeur de cabinet adjoint alors affecté à Saint-Etienne Métropole de Gaël Perdriau qui est pressenti depuis plusieurs mois pour devenir le directeur de cabinet tout court de Sylvie Fayolle, présidente par intérim. « Quand vous avez un adjoint meilleur que le directeur, souvent le directeur l’élimine. C’est vrai dans le privé comme dans le public », nous a glissé un maire de la Métropole ce jeudi. En novembre 2016, David Rigault avait été licencié du cabinet de Gaël Perdriau sans que cela ne semble émouvoir plus que cela les élus – déjà ou non – en place à l’époque. Malgré le fait que ses compétences et son impartialité semblaient appréciées des maires et conseillers, de gauche ou de droite. De petites ou de grandes communes. Comme certains en ont témoigné aujourd’hui. « Il avait été évoqué des divergences d’objectifs et de points de vue. Mais la décision de toute façon appartenait au seul président à qui la fonction est liée », commente Sylvie Fayolle. Dans la foulée du départe de David Rigault, Pierre Gauttieri avait assumé son poste, en plus du sien à la Ville en exerçant, officiellement, deux mi-temps…
Ex directeur de cabinet de Laurent Wauquiez
David Rigault, lui, devenait dès janvier 2017, membre du cabinet de… Laurent Wauquiez à la Région. Puis chef de cabinet du parti Les Républicains quand le président de la Région en était à la tête. Avant de devenir, à partir de septembre 2019, secrétaire général du groupe LR, DVD, SC au sein de l’assemblée régionale. Poste qu’il occupe actuellement. « Non, je ne vais pas remettre une nouvelle pièce dans la machine avec ce choix. Je sollicite, indépendamment de toute influence, quelqu’un de compétent, qui connaît le territoire et en qui je peux avoir confiance », répondait Sylvie Fayolle aux interrogations liées au parcours de David Rigault, en conférence de presse. Maire communiste de La Ricamarie, Cyrille Bonnefoy venait au secours de la présidente par intérim LR, lançant, tout en la regardant : « Vous connaissez mon inappétence pour les Républicains… Mais là, l’important par-dessus tout, c’est que cette collectivité avance, qu’elle avance par rapport au choix de urnes d’il y a 4 ans. Elle doit fonctionner à nouveau normalement par rapport à la population, ses agents. »