Saint-Étienne
samedi 27 avril 2024
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Dans la foulée des retraites, la CGT veut mobiliser en masse autour des soignants

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Et espère que la population, « première ligne » aussi de leurs problématiques, suive. La CGT Loire a organisé mardi un point de situation sur les conditions de travail des personnels de santé publics (et même privés) qui se dégradent dramatiquement, dit-elle, secteur par secteur, établissement par établissement. Un « effondrement du système de santé public » dont il espère faire un sujet de lutte majeur à la rentrée. Mais aucune démarche intersyndicale n’a encore été amorcée à ce sujet. De son côté, la direction du CHU stéphanois, contactée à défaut d’une réplique possible via le GHT* Loire, avance des chiffre contradictoires…  

C’était le 30 juin à Saint-Etienne à l’issue du Covid épisode I. Trois ans après, la CGT dit que la situation a empirée… ©If Média

Apocalyptique. Le tableau dressé par la CGT Loire, plus exactement l’USD CGT Santé Action sociale sur la situation des personnels soignants dans le département, à l’instar « de tout le pays », est noir. Très, très noir. Pire qu’à la sortie du Covid, pire qu’il y a un an selon le syndicat. Parmi les rares chiffres d’ampleur départementale qu’il a donnés lui permettant d’illustrer son sombre constat, le syndicat assure que l’on compte cet été un total de 343 lits fermés au sein du GHT* de la Loire. Fermer des lits est habituel l’été dans les hôpitaux, ne serait-ce qu’avec la réduction de l’activité chirurgicale pour cause de congés auxquels ils sont liés. Cependant, le nombre de fermetures avait déjà tendance à gonfler ces dernières années, assure le syndicat, en raison du manque de moyens. Mais cet été 2023 marquerait un cap avec trois fois plus de lits mis hors-jeu qu’à l’été 2022 !

A cela s’ajoutent la fermeture et/ou régulation de services d’urgences jugées aussi absurdes et dangereuses que l’obstination sur le système de tarification à l’acte (T2A). Et « tout » le reste : sous effectifs, suppression ou réduction de services au profit du privé, surmenage, danger pour les malades, management déshumanisé et enfin rémunérations affreusement basses après un Ségur déjà balayé par l’inflation : le navire prend l’eau de toute part. L’équipage ne va pas craquer : il craque déjà, assure le syndicat qui s’alarme sur le bilan à l’issue de l’été. Ce naufrage, souligne-t-il encore va aussi faire toucher le fond aux passagers que sont les patients. Avec la présence, mardi, de 7 représentants CGT – CHU, hôpitaux du Forez, de Roanne, de Firminy (celui du Gier excusé), de la Mutualité (groupe Aésio), de la MRL de Saint-Just-Saint-Rambert et enfin de l’action sociale à l’échelle du département -, la liste des griefs présentés par établissement ou secteur serait longue à énumérer et détailler.

« Partout, les agents sont épuisés »

Côté CHU, le sujet sous les projecteurs est la régulation des urgences. « Ce système et la perspective de le voir pérennisé nous inquiète au plus haut point. Il décourage d’aller se faire soigner ceux qui ne peuvent pas recourir au privé. On les abandonne. Le 15 se voit débordé à son tour au point où des mouvements spécifiques s’initient (un débrayage a eu lieu à Roanne il y a une semaine, sa régulation étant transférée à Saint-Etienne, Ndlr). Il y avait déjà une infirmière pour réguler sur place et orienter les gens si nécessaire à la maison médicale. Comment imaginer qu’au téléphone, la réalité d’une urgence s’interprète mieux que de visu ?, s’interroge Lynda Rezaïk, représentante CGT au CHU. Pendant ce temps, on continue à manquer terriblement de personnels, avec des membres qui se font des 60 h par semaine et des patients laissés à leur sort dans les couloirs, dénudés, sans intimité, sans rien. Etant donné que l’on refuse du monde à l’entrée, ceux qui n’ont pas appelé, on a aussi plus que jamais peur pour notre sécurité en raison de la frustration, de la colère que cela amène. Non, les services de sécurité à l’entrée n’ont pas été renforcés. »

On nous fait du chantage : « tu ne vas pas laisser tomber tes collègues », « si tu veux tes semaines de vacances, il faut passer par là ».

 Lynda Rezaïk, représentante CGT au CHU de Saint-Etienne

Les urgences ne sont bien sûr pas seules concernées : « Partout, les agents sont épuisés. Il arrive fréquemment d’être appelé en pleine nuit pour travailler le lendemain, de devoir annuler brusquement un week-end comme ça, augmenter la journée, sans aucune considération pour la vie privée. On nous fait du chantage : « tu ne vas pas laisser tomber tes collègues », « si tu veux tes semaines de vacances, il faut passer par là ». Au CHU, cela n’est pas payé en heures supplémentaires mais en récupérations dont on se demande bien comment on pourra les prendre. Quand vous enchaînez 12 h par jour, au bout du 5e on peut craindre une terrible erreur. Nous l’avons dit : si cela arrive, c’est l’Etat qui sera responsable. » La CGT de Nord fait aussi part de sa lassitude d’avoir vu ces derniers mois ses cinq avis consultatifs défavorables (aux côtés d’autres syndicats) sur des sujets centraux, comme le projet d’établissement 2023/2027, au sein du CSE complètement « ignorés », au point de désormais boycotter ses séances.

« Le service public va crever »

« Le dialogue social n’existe pas », en conclut Lynda Rezaïk pour qui, en synthèse, « le service public va crever. Vendredi, j’ai fait le tour des services : j’ai encore appris une dizaine de démissions. On a cru que le Covid avait sonné comme un grand réveil. 3 ans après, c’est pire ! ». Une pétition de la CGT autour du non-respect du droit du travail et de l’atteinte à la vie privée communiquée à la direction le 13 juillet aurait recueilli 605 signatures d’agents en quelques jours. Du côté de Roanne, tout en partageant ce constat, Christelle Coste, déléguée CGT, dénonce les sujets spécifiques de son établissement, du moins ceux les plus d’actualité : devenir de l’activité médicosociale non concernée par l’enveloppe Ségur et donc soumis à « un projet de privatisation » en raison du manque de financements (trois services 160 lits) ; devenir de l’HAD (hospitalisation d’aide à domicile) ou encore de la blanchisserie externalisée. A Firminy, tout comme dans le Gier, les urgences tiennent mais se prennent le report de la régulation du CHU.

Vendredi, j’ai fait le tour des services : j’ai encore appris une dizaine de démissions. On a cru que le Covid avait sonné comme un grand réveil. 3 ans après, c’est pire ! 

Lynda Rezaïk, représentante CGT au CHU de Saint-Etienne

Au sein du CH du Forez pour ce qui concerne le site Feurs, on craint à l’évidence, à la suite de la loi Rist qu’elles ne rouvriront jamais, « surtout quand la direction commence à dire que ces locaux vides, et bien… c’est dommage et donc parle de les faire occuper par une activité privée pour les optimiser », met en avant Hervé Perret, secrétaire départemental CGT de l’USD CGT Santé Action sociale qui y travaille. « Nous aurons droit à un audit de l’ARS en janvier 2024 qui va fatalement nous dire qu’il y a trop de personnels au regard du recul de l’activité que l’on nous a imposé. Un cercle vicieux : moins de personnel, donc moins d’activité financée, donc moins de personnel, etc. A la place, on nous parle d’externalisation, bref de privatisation. Fermer les urgences de Feurs, ce n’est pas connaître la réalité du territoire et le danger que cela crée. Surtout que celles de Montbrison fonctionnent de manière très juste, en sous effectifs avec 2 ou 2,5 équivalents temps plein de médecins. On vient de nous parler d’y réduire le SMUR aux urgences extrêmes. C’est quoi une « urgence extrême » ? »

« Ne tombez pas malade cet été ! » 

Même tableau noir du côté de la représentante des établissements « non lucratifs » – donc sans dépassement tarifaire – de la Mutualité Loire (groupe Aésio), qui évoque là aussi des postes non pourvus, des employés souvent payés en dessous du Smic horaires au regard de plannings à rallonge. Alors, « surtout, ne tombez pas malade cet été ! Comment faire rester les gens et attirer des jeunes dans la profession avec de pareils conditions de travail. On est là pour prendre soin des gens mais on y arrive plus. C’est la nature même de notre vocation qui est touchée, la bienveillance, la sécurité vis-à-vis des patients sont menacées à cause de notre épuisement. Dans les Ehpad, on est tellement plus assez qu’on a plus le temps d’apaiser les gens en dialoguant, ne serait-ce que 5 min. Alors on nous dit : « pas grave, donne donc un médicament pour le calmer ! » »

La colère ne se limite pas aux hopîtaux, comme ici en juin 2020 à Saint-Etienne. ©If Média

La conférence de presse est aussi revenue sur le cas de la MRL de Saint-Just-Saint-Rambert que nous avons déjà développé dans cet article. Ou encore sur le vaste domaine aussi mais tellement moins visible qu’est l’action sociale et ses dizaines d’associations accompagnant des publics fragilisés. Ses problématique – accords Ségur ou Laforcade incompréhensiblement et illégalement non appliquées uniformément –, le cas du Centre Rimbaud traité par If en début d’année illustre à lui seul. Selon Cyrille Daudey, représentant CGT Loire du secteur, la T2A, pourrait à terme venir contaminer ce dernier en tant que mode de financement… Si le rendez-vous donné par la CGT Loire à la presse locale est à son initiative, elle n’est évidemment pas la seule à le faire dans son département. Les instances nationales du syndicat veulent en effet clairement immiscer l’idée d’un vaste mouvement social généralisé sur le sujet, prenant le relais de celui des retraites à la rentrée et captant l’attention de la population.

Une intersyndicale ? « A voir à la rentrée »

Mais la CGT ne pourra pas le faire seule. Qui plus est qu’elle n’est pas majoritaire dans un établissement comme le CHU de Saint-Etienne où FO est largement devant. Une intersyndicale a déjà été organisée récemment au niveau de Nord. C’était à la fin du printemps, à propos de la suppression de postes de cadres de nuit. Mais sur l’idée de manifestations de masse, voire de grèves multi secteurs dans toute la Loire à la rentrée, aucun dialogue n’a été encore amorcé, concède Hervé Perret. Ce que confirme FO SPS santé, pas forcément contre mais dans l’attente d’échanges nationaux et locaux. En l’absence de sa secrétaire Loire en ce milieu d’été, Alexandre Charly, son secrétaire pour le CHU de Saint-Etienne a répondu à notre sollicitation (nous n’avons pas réussi à avoir la CFDT). « 343 lits fermés ? Ces chiffres sont alarmants oui et même en dessous de la réalité, estime-t-il. Rien que qu’au CHU, c’est 170. Oui, la situation est catastrophique chez nous, à Saint-Etienne, comme dans toute la Loire, comme dans tout le pays. Mais on vient de vivre un premier semestre difficile partout avec les retraites pendant des mois. Alors forcément, en plein été, c’est calme sur des démarches de mobilisation. A voir à la rentrée quand nous tiendrons notre conseil syndical. »

Que disent les autorités sanitaires publiques de ce tsunami revendicatif, c’est-à-dire l’ARS (Agence régionale de santé) Auvergne-Rhône-Alpes ? Contactée, sa communication fait savoir à If Saint-Etienne, qu’elle n’a pas « de commentaires à faire » à la suite de cette conférence de presse. Impossible d’obtenir une réaction du GHT dans la mesure où sa gouvernance collégiale n’a pas à prendre la parole au nom d’une instance fédérative qui pousse à la collaboration mais ne dirige pas les RH de ses membres. En revanche, la direction du principal d’entre eux, le CHU de Saint-Etienne a bien voulu échanger avec If sur la situation par la voix de son directeur adjoint Mickaël Battesti. Pour donner ses chiffres et aussi une autre vérité. « Les 343 lits fermés cet été ? Oui mais ils n’ont pas compris : ce n’est pas sur l’ensemble du GHT mais sur le seul CHU », assure à If Saint-Etienne Mickaël Battesti.

« Le nombre de lits fermé n’a pas triplé »

C’est donc largement davantage pour toute la Loire mais pas de quoi s’alarmer exagérément, estime-t-il : « Pour le CHU, c’est un peu plus que l’an passé, une vingtaine environ, mais on est donc très loin du triplement. Cela représente 15 % de nos 2 000 lits. Comme chaque été, nous calons les ouvertures de lits sur l’activité. Alors quand il y a 50 % de besoins en moins sur un service parce que c’est l’été… Cela ne témoigne absolument pas d’un recul de notre service public. » Pour ce qui concerne les fortes critiques sur la gestion des ressources humaines, Mickaël Battesti ne nie pas que « dans une grande maison comme la nôtre avec des milliers de temps plein où les services se gèrent en autonomie, il puisse y avoir des anormalités qu’il faut remédier. Mais entre généraliser des cas et la réalité globale, il y a un monde et une façon de présenter les choses… On pourrait aussi dire que si l’absentéisme est en hausse de 9,5 à 10,5 % sur un an, le turnover du personnel baisse. On pourrait aussi dire que le volume d’activité de 2019 n’est pas encore atteint alors que les effectifs sont supérieurs. »

Entre généraliser des cas et la réalité globale, il y a un monde et une façon de présenter les choses…

Mickaël Battesti, directeur adjoint du CHU de Saint-Etienne

Le directeur adjoint ne dit pas « pour autant que tout va bien à l’hôpital public. Mais face aux difficultés, soit vous ne faites rien et refusez tout. Soit vous essayez d’y faire face et d’avancer avec les leviers à disposition. C’est l’objet de notre projet d’établissement. Vous a-t-on dit que nous augmentons les passages en CDI des contrats plus précaires ? Que les jeunes générations récemment recrutées expriment la volonté de cumuler des 12 h, en échanges de jour de repos plutôt que des 8 h, et que nous faisons en sorte de composer avec les aspirations de chacun ? Que le nombre de places ouvertes aux aides-soignantes au concours d’infirmières a doublé chez nous et que nous payons cette formation sur 3 ans ? Que nous consacrons ici deux fois plus de budget à la formation que ce que la loi exige de nous ? On peut parler des failles évidentes de la tarification à l’acte (T2A). On peut aussi parler de ce qu’elle permet d’obtenir comme le développement d’activités au CHU. Sur le digestif par exemple, où nous allons pouvoir ouvrir 10 lits. La T2A doit, c’est vrai, évoluer en intégrant le concept de pertinence des soins, comme le dit la Fédération Hospitalière de France (FHF). »

« Ce n’est pas un recul du service public »

A l’échelle nationale encore, Mickaël Battesti relève que « depuis 15 ans, en France, le budget de la Santé en France est le seul à augmenter chaque année, en moyenne de 2 à 3 % par an. L’Education, la Justice, la Défense ne peuvent pas en dire autant. C’est hélas, oui, insuffisant par rapport l’explosion de nos dépenses de santé liées aux progrès de la médecine et au vieillissement de la population. Il y a 20 ans, là une pathologie donnait 5 – 6 ans d’espérance de vie, cela peut-être 20 ou 30 de nos jours ». Quant à la régulation des urgences, sujet national « subissant les problématiques de la médecine libérale, oui, nous sommes satisfaits. Oui, le 15 est compétent pour évaluer à distance la pertinence d’aller aux urgences, cela fait 40 ans qu’il a ce savoir-faire. Nous sommes retombés grâce à ça à 130/140 passages par jour à Nord quand on est monté à 170. Or, 70 % des cas qui se présentent ne relèvent pas des urgences. Ce n’est pas un recul du service public, c’est un recentrage sur sa mission ».

*Groupement hospitalier de territoire (GHT), coopération fédérative regroupant 15 établissements dont le CHU, chef de file, et les 5 CH MCO (assurant chirurgie et obstétrique) de Roanne, du Forez, de Firminy, du Gier et d’Annonay.

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