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samedi 27 avril 2024
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Pollution atmosphérique : les écologistes attaquent la préfecture de la Loire en Justice

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Signé début avril, le Plan de protection de l’atmosphère Saint-Etienne Loire-Forez (PPA – SELF) 2022-2027, le 3e dans la Loire depuis 2008, est jugé dangereusement insuffisant au regard des enjeux par les plaignants. Les élus stéphanois EELV Julie Tokhi et Olivier Longeon et l’association Respire ont en effet déposé un recours contre l’arrêté de la préfecture de la Loire actant son adoption afin de demander son annulation. Il s’agit du 5e plan ainsi attaqué en Justice en France en moins d’un an.

Vue quelque peu brouillée de Saint-Etienne depuis l’ouest. ©If Média/Xavier Alix

Et pourtant, le vent tourne. Comme, nous vous l’indiquions dans ce dossier il y a un peu plus d’un an, l’émission de polluants s’est réduite de manière significative entre 2005 et 2019 dans la Loire.  – 43 % pour les COVNM*, – 50 % pour le NOx* – 30 % pour les PM 10*, – 34 % pour les PM 2,5*,  – 3 % pour le NH3*, – 78 % pour le SO2*. Des données issues des stations de mesure localisées d’Atmo AuRa, un organisme sous statut associatif qui est l’observatoire agréé1 par le gouvernement pour notre région dont sont exclus cependant, et ce n’est pas rien, les pesticides. Ces données ne sont d’ailleurs pas contestées par les élus EELV de la Loire. Leur débat est ailleurs : il porte sur la prise en compte réelle de la dangerosité de l’air que nous respirons et sur la hauteur de la réponse que lui apportent les pouvoirs publics, l’Etat en premier lieu, puisqu’il contribue, orchestre et valide la réalisation des Plans de protection de l’atmosphère (PPA) qui doivent s’appliquer dans toutes les agglomérations de plus de 250 000 habitants.  

C’est aussi une question de Justice sociale, les populations les plus démunies étant largement les plus exposées.

Olivier Longeon, élu EELV stéphanois

« Ce n’est pas parce que la pollution de l’air a baissé par rapport aux XIXe siècle et au XXe siècle, en particulier dans une ville minière et industrielle comme Saint-Etienne – où les sportifs autour de Geoffroy-Guichard, rappelons-le, respiraient à l’époque des nuages verts ou rouges, selon les jours, issues des aciéries – que ce que nous faisons actuellement est suffisant. C’est aussi une question de Justice sociale, les populations les plus démunies étant largement les plus exposées », remarque Olivier Longeon. L’élu EELV stéphanois rappelle aussi la première enquête suscitée par l’ex-majorité du Conseil régional Rhône-Alpes à laquelle il appartenait. A partir de données compilées de 2009 à 2011 prenant en compte des chiffres hospitaliers, l’étude de l’Institut de veille sanitaire (INVS, devenue Santé publique France) régionale menée en 2014 avait conclu aux décès de 213 personnes par an dans le Sud Loire (un peu plus large que Saint-Etienne Métropole) dus aux seules particules fines et très fines (PM10 et PM2,5).

Dans la Loire, l’air tue plus de 600 personnes par an

Une mise à jour plus récente, publiée en octobre 2021, toujours par Santé Publique France (là sur des données 2016-2018) disait cette fois-ci qu’en Auvergne-Rhône-Alpes, 4 300 décès seraient attribuables chaque année à une exposition aux particules fines (PM2,5) et 2 000 à une exposition au dioxyde d’azote (NO2). A l’échelle de la Loire, ces chiffres sont respectivement de 397 et 214. Ce qui ne signifie pas forcément une aggravation : le territoire travaillé était plus large (l’ensemble du département), la méthodologie différente et s’y ajoute le NO2. Une certitude cependant : la pollution atmosphérique coûte indéniablement en vies et en argent public, ne serait-ce qu’en raison des hospitalisations : 331 M€ par an selon l’étude de 2014 pour le seul sud Loire. D’autre part, la notion d’impact est aussi liée aux seuils d’exposition jugés tolérables ou non par les autorités. Depuis la fin des années 2000, l’UE a d’ailleurs imposé à plusieurs reprises des seuils plus sévères. Ce qui expliquent des alertes pollution plus fréquentes malgré le recul des émissions.

En termes de contraintes, on ne fait sans doute pas mieux que l’Europe sur la Planète. Pourtant, les nouvelles valeurs d’exposition limites des populations recommandées par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) sont désormais 4 à 5 fois plus sévères pour trois des polluants principaux suivis en France que celles réglementaires en vigueur dans l’UE. Selon les indicateurs de l’OMS, 99,2 % des Ligériens ont ainsi été exposés en 2021 à une « pollution chronique » aux particules très fines, les PM2,5 (100 % pour Saint-Etienne métropole 97 % au niveau régional). C’est 62,6 % en ce qui concerne le dioxyde d’azote, le NO2 (en majorité liés aux transports à combustion) mais 96,5 % sur Saint-Etienne métropole contre 59,1 % sur l’ensemble de la région… Aussi, pour les élus écologistes stéphanois appuyés sur ce sujet par les associations Respire et Notre Affaire à Tous (cette dernière est derrière la campagne nationale « Pour un droit à respirer »), la situation reste dramatiquement dangereuse et la réponse totalement inadaptée. Ils considèrent que la 3e version du Plan de Protection de l’Atmosphère (PPA) mis en œuvre dans la Loire ne répond pas à l’enjeu, témoignant, même, d’un « manque d’actions intolérable ».

Un recours non suspensif

« Afin d’en obtenir une version plus ambitieuse, réellement protectrice », les élus stéphanois EELV Julie Tokhi et Olivier Longeon associés au niveau de la démarche juridique à l’association Respire ont demandé l’annulation de ce nouveau plan adopté par la préfecture en avril 2023 au tribunal administratif de Lyon via une requête en référé déposée le 5 juin. Elle n’est cependant pas suspensive : le PPA actuel peut donc poursuivre sa mise en œuvre. Les deux précédents PPA (le premier date de 2008) ne concernaient que Saint-Etienne Métropole. Pour le 3e, la préfecture a souhaité ajouter Loire Forez agglomération, même si cette dernière est largement en dessous de l’exigence légale vis-à-vis de son nombre d’habitants. D’où l’appellation PPA Saint-Etienne Loire-Forez (PPA – SELF) 2022-2027 qui concerne 500 000 Ligériens et 140 communes (55 dans le précédent). Faudra-t-il revoir la copie en pleine application ? Et si oui, fin 2023 ? En 2024 ? L’avocate engagée par les plaignants, Hélène Leleu, ne se risque pas à donner un pronostic sur une date de rendu de décision au regard de la situation des tribunaux plus que surchargés. Contactée par If hier après-midi après la présentation de l’initiative, la préfecture de la Loire, n’a pas pu répondre à notre demande de réactions dans nos délais de publication.  

Le code de l’Environnement impose à l’Etat de protéger la population de la pollution atmosphérique. Cette obligation n’est pas remplie.

Hélène Leleu, avocate

Des recours du même type ont été déposés pour quatre autres plans : ceux des intercommunalités de Lyon, Grenoble (sur lesquels Hélène Leleu a aussi été engagée), Marseille et Nice. C’était en 2022, pour les deux derniers cas, toujours pas jugés. Neuf autres aux plans révisés ou en cours de révision sont susceptibles d’être également attaqués. « Le code de l’Environnement impose une protection par l’Etat de la population sur les conséquences de la pollution atmosphérique vis-à-vis des enjeux environnementaux et de santé public. Cette obligation n’est pas remplie », argue Hélène Leleu. L’avocate estime que le PPA de la Loire présente des irrégularités externes : incomplétude sur l’enquête publique, le périmètre d’action. Mais aussi des données de base trop vielles datant de 2019, voire des prévisions réalisées de 2017. Il y aussi dans son analyse des « insuffisances sur les actions et les objectifs » autour précisément de lutte contre des polluants comme le dioxyde d’azote (issu d’abord de la circulation) ou de l’ozone, aux valeurs limites trop régulièrement dépassées sur l’agglomération stéphanoise. Il est évoqué des « des actions déjà menées par ailleurs, des actions non financées, des actions douteuses de « sensibilisation » et des actions fantômes.»

« Depuis 2008, aucun PPA n’a été en conformité »

Si une partie de l’encadrement, des contraintes, mesures et actions sont le fait de la préfecture, le PPA reprend cependant les mesures prises spécifiquement par les intercommunalités avec qui ils réalisent. Sans surprise, les élus EELV stéphanois pointent là les actions de Saint-Etienne Métropole qu’ils estiment insuffisantes ou des décisions contre productives, voire paradoxales cantonnant ainsi le plan, pour eux, à un catalogue de (fausses) bonnes intentions. « Le premier plan était déjà en deçà des normes. Le suivant a été attaqué en 2017 par Les Amis de la Terre et derrière le conseil d’Etat a conclu à une insuffisance obligeant ainsi à le retoquer. Mais le Conseil d’Etat a considéré ce remaniement insuffisant en 2020 et encore en 2021. Bref, le PPA n’a jamais été en conformité », souligne Julie Tokhi. EELV liste des décisions de Saint-Etienne Métropole des dernières années allant, de son point de vue à l’encontre d’un PPA efficace : à commencer par la suppression en 2017 (il avait été annoncé en 2018, un relais de ce service déficitaire pris par La Poste) de la plateforme logistique SimplyCité que la collectivité avait créé 4 ans auparavant en partenariat avec le privé, visant une livraison propre sur le dernier kilomètre en centre-ville de Saint-Etienne.      

Hors milieu urbain, les écologistes estiment que l’intercommunalité doit aller plus loin pour fournir massivement un épandage issu du compostage. ©If Média/Xavier Alix

S’ajoutent aux yeux des écologistes, un manque encore insuffisant et une lenteur sur la rénovation du bâti existant le plus exposé, surtout au regard des capacités d’investissements actuels et l’argent consacré dans de vastes projets d’aménagement (avec l’exemple boomerang des 30 M€ consacrés à la nouvelle patinoire métropolitaine), un manque de volonté de limiter réellement l’extension de la périurbanisation à Métropole et à Loire Forez, à créer de nouveaux parcs urbains et surtout sportifs à distance suffisante de la circulation intense à laquelle sont soumis L’Etivallière et Méons ou encore le fait d’avoir rouvert dans le centre-ville de Saint-Etienne des artères à la circulation dès 2014, sinon d’avoir abandonné, disent-ils encore, le projet d’apaisement et de baisse de la circulation sur un grand axe comme la rue Bergson. Contactée par If, Sylvie Fayolle vice-présidente au développement durable, n’a pas souhaité, à ce stade, s’exprimer. « Nous ne sommes pas que dans la critique, anticipe cependant Julie Tokhi. Nous avons aussi des propositions pour améliorer la situation. »

Une ZFE stéphanoise trop limitée ?

Côté habitat, l’élue propose ainsi que le PPA s’impose « et non s’adapte » aux PLU et PLUI (plans locaux d’urbanisme communaux et intercommunaux) afin d’obtenir une réelle coordination entre Plaine du Forez et Sud Loire visant à limiter les permis de construire tout en consacrant une part des investissements publics beaucoup plus forte sur des programmes de rénovation énergétique des bâtiments résidentiels ou non, privés ou publics. Niveau transports, si cela ne relève pas de la compétence intercommunale mais de l’Etat, via ce qui est sa société, la SNCF, les écologistes aimeraient voire électrifier et augmenter le cadencement de la ligne ferroviaire Saint-Etienne / Andrézieux-Bouthéon et la création d’une « vraie » zone 30 à Saint-Etienne (elle sera bientôt étendue Ndlr), c’est-à-dire « qui se voit et priorise les piétons, pour que les véhicules roulent réellement à 30 km/h », tacle Julie Tokhi. Au rayon transports, la ZFE de Saint-Etienne Métropole est aussi sur leur grill : « Elle devrait s’affecter à l’ensemble des véhicules comme très souvent ailleurs. Or, seuls les véhicules pros sont concernés. C’est une coquille vide, un effet d’annonce. »  

La ZFE de Saint-Etienne Métropole devrait s’affecter à l’ensemble des véhicules comme très souvent ailleurs, pas seulement professionnels. C’est donc une coquille vide, un effet d’annonce.

Julie Tokhi, élue EELV stéphanoise

Encore faut-il pouvoir se payer des véhicules moins polluants… ou alors « bénéficier d’un réseau de transports en commun intercités, inter bassins de vie vraiment efficace, rétorque Julie Tokhi. Le Gier par exemple est très mal desservi dans sa liaison avec Saint-Etienne. Je ne parle pas des gares en centre-ville mais d’intermodalité ». A propos de justice sociale encore, insistent justement les élus écologistes, il faut prioriser le travail de protection des zones d’habitat les plus exposées qui correspondent très souvent à celles des plus favorisées, évoquant les nombreux HLM voisinant, voire collés aux axes majeurs de circulation, sinon à des zones industriels ou d’activités donnant lieu à de la circulation et des rejets. Cette notion de Justice sociale est essentielle pour Emma Feyeux, de l’association Notre affaire à tous et coordinatrice de la campagne Pour un droit à respirer. Elle évoque une étude récente réalisée à Paris qui prouverait que les personnes les plus défavorisées ont trois fois plus de chance de décéder lors d’un épisode de pollution, mettant aussi dans la balance la problématique d’accès aux soins.  

L’appui de jurisprudences passées et peut-être à venir

Les écologistes obtiendront-ils gain de cause ? « Si ce n’est pas le cas cette fois, cela met une pression sur ce manquement flagrant, donc pour le prochain. Ce ne serait pas la première fois que nos recours et alertes finissent par être entendus même si c’est trop long. C’est nous qui à Saint-Etienne avions suscité la végétalisation des crassiers dont les poussières retombaient sur la ville, malgré les mines fermées, lance Olivier Longeon. Il reste tellement de négligences à prendre en compte. Parfois à petites échelle, comme l’école Jules-Ferry de Centre 2 et ses problématiques d’aération ou sinon, à grande échelle, comme les émanations de méthane de la décharge d’enfouissement de Roche-la-Molière. Mais on préfère reconstruire de l’habitat en bord d’autoroute pile là où on a détruit des immeubles comme à Terrenoire. » Les plaignants espèrent s’appuyer sur une éventuelle jurisprudence des contentieux engagés dans les quatre autres agglomérations. A l’échelle de la France, il y a celle d’août 2021 : le Conseil d’Etat avait contraint l’Etat à payer une astreinte historique de 10 M€ pour le non-respect des normes européennes sur la pollution de l’air.  

* COVNM : Composé organique volatil non méthanique ; NOx : oxyde d’azote (monoxyde et dioxyde confondus) ; PM10 : particules fines ; PM2,5 : particules très fines ; NH3 : ammoniac ; SO: dioxyde de soufre.

1 Ses membres et/ou financeurs sont de nombreux services de l’Etat, les collectivités locales (Région, Départements, intercommunalités, quelques communes), des CCI et entreprises (beaucoup de transporteurs et d’industriels, en particulier la chimie de la vallée du Rhône…), des associations et des scientifiques.  

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